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Le billet
Les dangers de la « pipolisation » : « Leave Hollande alone » !
Avec la révélation de la relation présumée entre François Hollande et l’actrice Julie Gayet, à la suite de la publication des photographies par le journal Closer, il n’est pas certain que le blason de notre président de la République soit redoré. Sacha Guitry disait pourtant que si « On s’attaque à ta vie privée (…) c’est que l’on ne trouve rien à redire à tes ouvrages ». Peu de chances que ce soit le cas de François Hollande dont les choix politiques sont aussi critiqués depuis de nombreux mois.
Pour revenir au droit, au lendemain de l’affaire Gayet/Hollande dont le débat est alimenté aujourd’hui par deux arrêts de la CEDH du 14 janvier 2014, on s’interroge de nouveau sur l’existence d’un droit à la vie privée des hommes politiques, en général, et des présidents de la République, en particulier.
Sans aucun doute, le président de la République, comme n’importe quel citoyen, est bien titulaire d’un droit au respect de la vie privée. Ni l’article 9 du Code civil ni l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne distinguent selon la qualité de la personne protégée. Cette vie privée comprend principalement la vie sentimentale, sexuelle, religieuse, familiale de la personne concernée, à laquelle les photographies litigieuses ont manifestement porté atteinte. Il est vrai cependant que cette « arrière-boutique », selon l’expression du doyen Carbonnier, a de nombreuses entrées et les frontières entre vie publique et vie privée sont relativement poreuses. Les hommes politiques en font aujourd’hui les frais dans un véritable mouvement qualifié de « pipolitisation », appuyé par un état du droit de plus en plus tolérant.
Les informations confidentielles relatives à la vie privée du président peuvent, en effet, céder devant le droit du public à l’information (Civ. 1re, 15 juin 1994) ou le débat d’intérêt général (Civ. 1re, 24 oct. 2006) à condition de ne jamais porter atteinte à la dignité de la personne humaine. Les affaires d’État en font partie mais pas les affaires d’ébats (v. F. Rome).
Cette notion du débat d’intérêt général vient récemment d’être précisée par deux arrêts de la CEDH par lesquels elle confirme son attachement à cette notion mis au service de la liberté d’expression. L’affaire concernait un premier ministre Finlandais qui avait eu une relation avec une femme qui a, par la suite, publié un ouvrage divulguant certaines informations relevant de leur vie privée. La CEDH a jugé que ces informations, hormis celles relatives à la vie sexuelle du couple, avaient un intérêt pour le débat public car elles posaient la question de « l’honnêteté » et du « manque de jugement » du Premier ministre (CEDH 14 janv. 2014, Ruusunen c. Finlande ; CEDH 14 janv. 2014, Ojala et Etukeno Oy c. Finlande). Le juge est ainsi censé pondérer, sans hiérarchie a priori, les droits en conflits, liberté d’expression et respect de la vie privée (pour une autre illustration récente, Paris, 19 déc. 2013, sur la révélation de la relation homosexuelle de deux élus).
Y-avait-il dans l’affaire Gayet/Hollande un droit du public à l’information ou un éventuel débat d’intérêt général pouvant légitimer la diffusion de ces informations ?
La conception relativement large des derniers arrêts de la CEDH peut a priori le laisser penser, à moins de considérer que les faits du couple finlandais étaient singuliers. Au regard du seul droit interne, quoiqu’en disent certains journaux qui brandissent l’étendard de la liberté d’expression, il est fort peu probable que Closer, poursuivant un but essentiellement économique, puisse l’emporter. Certes, il y avait la situation de son ex-compagne, Valérie Trierweiler, qui aurait pu servir d’argument à l’existence d’un débat d’intérêt général ou d’un droit du public à l’information. Il en est souvent ainsi dans les familles royales. Mais Valérie Trierweiler n’était pas une princesse, elle n’était pas même une « première dame » et ce couple n’avait de royal que le nom que portait l’ex-concubine de François Hollande. En tout état de cause, une confusion existe aujourd’hui entre intérêts privés et intérêt général.
Cette confusion croissante est certainement due à une médiatisation de la vie privée des hommes politiques qui est devenue monnaie courante. Autrefois, il était rare qu’on révèle aussi facilement ce qui relève de la vie privée des hommes politiques. François Mitterrand a vécu près de 20 ans avec Anne Pingeot et aucun media n’a osé divulguer cette information. La vie privée était un tabou. Dans le même esprit, vous ne trouverez aucune photographie privée d’Yvonne et de Charles de Gaulle. Mais les choses ont bien (ou mal) évolué. Autre temps, autres mœurs ! Une confusion plus intense s’est fait jour entre vie publique et vie privée des hommes politiques. Cela a commencé avec le couple médiatique et mondain, Georges et Claude Pompidou. Un cap a été franchi lorsque des présidents, tels que Nicolas Sarkozy, ont mêlé politique et show business brouillant encore plus les frontières de la vie privée.
Si par extraordinaire, la notion de débat d’intérêt général devait l’emporter, ne pourrait-on pas en dernier recours, penser que toutes ces divulgations portent atteinte à la dignité du président de la République ? On se rappelle la photographie de François Mitterrand sur son lit de mort : atteinte à la dignité de la famille de la personne décédée avait pu juger la Cour de cassation. Concernant François Hollande, difficile d’y voir une atteinte à sa dignité. D’ailleurs, Pierre Daninos, écrivain et journaliste de la première moitié du xxe siècle, disait avec humour à propos des maîtresses qu’« Un homme politique digne de ce nom n'en a jamais qu'une seule ». La morale est sauve ! En attendant et pour l’avenir, respectons la vie privée du citoyen François Hollande. Comme un fan de Britney Spears l’avait très justement clamé sur le Net lorsqu’elle était attaquée de toutes parts : « Leave him alone » !
Références
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Civ. 1re, 15 juin 1994, Bull. civ. I, n° 218.
■ Civ. 1re, 24 oct. 2006, n° 04-16.706, Bull. civ. I, n° 437.
■ F. Rome, « Une affaire d’ébats », D. 2014. 73
■ CEDH 14 janv. 2014, Ruusunen c. Finlande, n° 73579/10 (anglais).
■ CEDH 14 janv. 2014, Ojala et Etukeno Oy c. Finlande, n° 69939/10 (anglais).
■ Paris, 19 déc. 2013, Dalloz actualité, 7 janvier 2014.
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