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Les droits de l’homme au Qatar : Jeux du stade et jeux du droit
Les droits de l’homme au Qatar ! Certains pourraient y voir une provocation et d’autres une plaisanterie. Pourtant, ce sujet est extrêmement sérieux. Outre le fait que la Constitution contient de nombreuses libertés fondamentales (liberté d’aller et venir, égalité homme-femme, prohibition des actes de torture, liberté d’association…), les « jeux du stade » font aujourd’hui la part belle aux jeux du droit. En effet, devant accueillir de nombreuses manifestations sportives internationales, très prochainement les championnats du monde de cyclisme sur route et surtout en 2022 la coupe du monde de football, le Qatar a dû s’engager dans de substantielles réformes dont l’un des objectifs est de renforcer la place des droits de l’homme. L’initiative est heureuse et les ambitions de certains dirigeants qatariens sont sincères. C’est à l’occasion d’un colloque organisé à Doha les 17 et 18 février 2016 que ce constat a pu être fait.
L’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) de l’Université Paris 13-Sorbonne Paris Cité a été approché, il y a plus d’un an, par le Professeur Faouzi Belknani, Professeur tunisien aujourd’hui en poste à l’Université du Qatar. Ce dernier faisait alors remarquer que le Code civil qatarien est très inspiré du Code civil égyptien lui-même très influencé par le Code civil napoléonien. Il souhaitait alors rétablir l’identité réelle du droit qatarien : un droit d’inspiration continentale. C’est la raison pour laquelle, avec le soutien de l’Ambassade de France et de son excellence Monsieur l’ambassadeur Eric Chevallier, Faouzi Belknani a créé le Club de la culture juridique française, club de francophones et de francophiles, dont l’objectif est d’instaurer ou de restaurer au Qatar la place du droit continental en général et du droit français en particulier. C’est dans cette optique, avec l’aide de l’Université du Qatar, qu’il a proposé à l’IRDA de mettre en place un colloque sur « les droits de l’homme et le droit privé : l’unité dans la diversité ? ». Devant l’ampleur du programme, le centre de recherches Marchés, Institutions et Libertés (MIL) de l’Université Paris 12 s’est associé à ce projet. Sans hésitation, les thèmes les plus sensibles et les plus polémiques ont été abordés : le droit du travail, le droit de la famille, la liberté d’expression, le procès équitable…
Cette manifestation scientifique a connu un grand succès. Les différents thèmes ont permis d’engager une discussion avec les différents participants à ce colloque, intervenants et public. Au-delà des étudiants et des enseignants, le public comptait la présence d’avocats, de magistrats et, spécialement, celle du Procureur Général de la République, fervent défenseur de la culture juridique française et à l’origine de la création du lycée Voltaire, lycée franco-qatarien. Aucun sujet n’a été éludé et la liberté de pensée a été à son comble : le mariage homosexuel a été l’objet de vifs débats. Le débat d’idées a amené l’ensemble des parties à admettre les différences de culture qui persistaient entre les différents systèmes. La question de la Kafala, sorte de mise sous tutelle du travailleur immigré, a également été abordée. Ses excès ont été soulignés et les rapports de l’OIT, peu gratifiants pour le Qatar, ont été exposés et discutés. Là encore, le débat a été passionné et la loi d’avril 2015, qui n’entrera en vigueur qu’en 2017, atténue considérablement les effets pervers de ce système de tutelle dont certains qatariens peuvent parfois abuser. Quant aux caricatures de Charlie Hebdo, elles ont été enfin au cœur d’un échange musclé au cours duquel la délégation française a rappelé qu’on ne tue pas pour des dessins et que la liberté d’expression, surtout sous sa forme satirique, doit rester une liberté absolue. Il ne s’agit pas d’approuver des caricatures parfois violentes et peu respectueuses de toutes les religions, mais d’admettre qu’elles relèvent d’un droit fondamental qui doit pouvoir être exercé sans limites. Les interventions étaient riches et les discussions intenses. Par ce seul fait, la promesse est tenue. C’est dans la discussion que les esprits peuvent être éclairés. C’est dans la discussion que l’on se rapproche de la vérité et qu’on échappe à toute forme d’obscurantisme.
Grâce au travail conjugué du Club de culture juridique française, dont le président est Faouzi Belknani, grâce au soutien matériel des membres de l’Ambassade, l’ambassadeur Eric Chevallier et de son assistante Anne Boiron, ce premier rendez-vous est une réussite.
Bien entendu, personne n’est naïf. Le Qatar est un système politique, économique et social qui a encore de nombreux progrès à réaliser à l’aune des droits de l’homme. Cependant, il faut aussi admettre que les choses évoluent et que certaines institutions, telles que l’Université du Qatar, sont des moteurs précieux au service des droits fondamentaux. Il faut multiplier ce type d’expériences pour ne pas rompre le dialogue. C’est la raison pour laquelle, un prochain rendez-vous a été pris l’année prochaine avec l’ensemble des parties prenantes pour une nouvelle manifestation scientifique au cours de laquelle des questions fondamentales pour le système qatarien seront abordées. Le thème sera : « les grands enjeux de société à l’aune des questions de responsabilité ». A cette occasion et en lien avec les centres d’intérêts du Qatar seront abordés par des experts français la question des responsabilités et du monde sportif (responsabilité des clubs, corruption, responsabilité des constructeurs…), celle des responsabilités environnementales (sites et sols pollués, responsabilité des sociétés-mère, responsabilité sociale des entreprises…), celle des responsabilités médicales (médecins, laboratoires, fabricants de médicaments…), celle des responsabilités des professionnels du droit (magistrats, avocats, notaires…).
Le Qatar est un pays relativement jeune. Il tient à se démarquer de la trop grande rigidité de l’Arabie Saoudite et de la grande flexibilité des Émirats arabes unis. Ce juste milieu le Qatar ne peut, pour l’instant, le trouver au sein des instances dirigeantes. Ce juste milieu a pour principal terrain d’élection les activités scientifiques organisées au sein de l’Université. Il faut s’en féliciter et il faut l’encourager, car c’est par l’esprit que le corps se libère !
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