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[ 8 mars 2021 ] Imprimer

Les droits des femmes : en ordre dispersé au sein de l’Union européenne

Les coups de butoir de la Pologne, plus particulièrement, et les positions réservées d’autres États membres de l’Union européenne par rapport aux droits des femmes, ces derniers mois, mettent en évidence la fragilité de la place accordée aux femmes dans nos sociétés européennes. 

S’il ne fait aucun doute que l’égalité entre les femmes et les hommes constitue un enjeu majeur identifié, la défense des droits des femmes, plus largement, doit attirer notre attention au-delà de nos frontières alors même que l’Union européenne ne cesse de réaffirmer les valeurs communes qui nous lient. Ce sujet est sans doute récurrent, mais la journée internationale des droits des femmes se profile en ce 8 mars et mérite un temps de réflexion et de jeter un œil dans le rétroviseur. Il n’en est pas moins vrai que comme tout mauvais élève, l’attention devrait être constante et ne pas être réservée à cette seule occasion.  

Les derniers mois renvoient à une situation contrastée, selon que l’analyse soit dirigée en direction des États membres, pris individuellement, ou de l’Union européenne. 

Focaliser son attention sur les États laisse apparaître des trajectoires diamétralement opposées. 

Si la France a fait ces derniers mois des efforts conséquents face aux violences faites aux femmes, par exemple, d’autres États font des choix inverses en revenant sur des droits reconnus récemment. Ainsi la Pologne a réduit drastiquement les hypothèses d’interruption volontaire de grossesse. Elle a encore menacé de dénoncer la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention du Conseil de l’Europe du 11 mai 2011). Finalement, la Pologne a déposé de nouvelles réserves le 28 janvier 2021 pour limiter son champ d’application. D’autres États européens, dont la Bulgarie, la Hongrie et la Slovaquie, ne l’ont pas ratifiée. Dès lors, il existe une forte résistance, qui est souvent couplée à un discours conservateur, fondé sur une répartition ancrée des tâches au sein de la famille, limitant l’émancipation des femmes. Ce constat est notamment mis au jour par l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Depuis de nombreuses années, cet institut établit des indicateurs afin de mesurer l’égalité de genre au niveau des 27 États membres ou plutôt les disparités existantes. Comme tout indice, la méthode choisie peut être contestée, mais elle n’en montre pas moins une trajectoire à travers différents domaines, dont le travail, la santé, le savoir, la rémunération, les postes à responsabilité. Le dernier rapport date de 2020 (EIGE, L’indice d’égalité de genre. Principaux résultats, 2020). C’est ainsi que les indicateurs mettent en évidence que les femmes sont impliquées de manière disproportionnée dans la garde des enfants et les tâches ménagères par rapport aux hommes avec des disparités très fortes en Bulgarie, en Roumanie, en Pologne. Seuls les États d’Europe du Nord tendent vers un équilibre. Les mêmes disparités se retrouvent pour l’accès à l’emploi, et par voie de conséquence pour l’accès à l’autonomie financière, et pour l’exercice du pouvoir. Les résistances peuvent ainsi être davantage marquées selon les États, ce qui n’exonère pas les autres États membres, dont la France, de devoir faire des efforts soutenus. Cette dernière se situe d’ailleurs par rapport à la globalité des indicateurs, trois points au-dessus de la moyenne européenne avec 57 %, le taux de 100% représentant une égalité totale.

Ausculter l’Union européenne renvoie à une perception différente, l’attention à l’égard des droits de femme étant réelle, tout d’abord à la lecture des objectifs et des politiques définis dans les traités. C’est ainsi que la référence à l’égalité entre les femmes et les hommes est présente à l’article 3, paragraphe 3 TUE parmi les objectifs, mais également aux articles 8 et 10 TFUE comme exigence à toute action ou politique de l’Union, avec une exigence accrue dans l’accès et l’exercice d’une activité professionnelle (TFUE, art. 153 et 157). L’article 23 de la Charte des droits fondamentaux lui est consacré. Le législateur européen intervient activement pour y parvenir, en ayant, par exemple, adopté la directive du 20 juin 2019 concernant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants, qui implique l’instauration d’un congé de paternité de dix jours ou encore d’un congé parental de quatre mois, y compris pour les hommes. Cette ambition s’appuie depuis de nombreuses années sur une approche assumée par la Commission avec une feuille de route établie pour la période 2006-2010, une stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes pour 2010-2015 et actuellement une nouvelle stratégie, plus offensive, pour la période 2020-2025. Les objectifs sont ciblés « mettre fin aux violences à caractère sexiste, de bousculer les stéréotypes sexistes, de combler les écarts hommes-femmes sur le marché du travail, de parvenir à une participation égale dans les différents secteurs de l’économie, de remédier à l’écart de rémunération et de retraite entre les femmes et les hommes, de combler l’écart hommes-femmes en matière de prise en charge des responsabilités familiales et de parvenir à un équilibre hommes-femmes dans la prise de décision et en politique ». La méthode est celle d’une approche globale, à partir de l’intersectionnalité, qui prend en compte le sexe et le genre ainsi que des caractéristiques personnelles pour appréhender l’ensemble des facteurs de discrimination. Les premières mesures attendues sont relatives à la transparence salariale avec proposition de directive déposée le 4 février 2021. Le Parlement européen partage cette approche par une résolution du 21 janvier 2021 (Résolution sur la stratégie de l’Union européenne en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes) donnant une visibilité à l’action européenne. La période est celle de l’accélération face à une absence de progrès significatif au cours des dernières années.

Sans doute est-il fortuit que ce soit au moment où une femme est à la tête de la Commission européenne et où la présence de femmes députées au Parlement européen n’a jamais été aussi élevée. Cette stratégie se heurtera nécessairement à la politique intérieure des États, dans lesquels la représentativité est plus inégale, mais l’Union européenne est en situation d’agir contre ces résistances, à partir des caractéristiques de l’ordre juridique européen, telles que les principes de primauté et d’effet direct. 

 

Auteur :Vincent Bouhier


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