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Le billet

[ 27 février 2012 ] Imprimer

Les écoles privées de droit

Faut-il créer des écoles privées de droit, à l’image des écoles de commerce ? Sans que le débat n’ait véritablement été mis sur la place publique, et soumis notamment à la Conférence des doyens ou au Conseil national du droit, une société privée a tenté, en partenariat avec l’Université Paris I, de mettre sur pied une telle école.

L’école en question, baptisée HEAD (Hautes études appliquées au droit), a semble-t-il fait long feu, le président de l’Université Paris I ayant renoncé à la mettre à l’ordre du jour de son conseil d’administration après le vote négatif du Conseil des études et de la vie universitaire de son établissement. Il n’en reste pas moins que ce sujet mérite un débat. La première question qui vient à l’esprit est pourquoi ? Pour le savoir, le plus simple est de se reporter aux propos de l’un des promoteurs du projet, Me Jean-Philippe Lambert.

Il s’agirait en effet de :

« – valoriser la filière du droit en France. Il suffit de se référer aux classements internationaux ou encore à la faiblesse de la rémunération des jeunes avocats ou juristes qui n'ont fait que des études de droit et n'ont pas complété celles-ci avec des études en école de commerce ou à l'étranger.

– aider les étudiants à être prêts lorsqu'ils débutent leur carrière. Il y a un réel besoin exprimé par les professionnels du droit, les directeurs juridiques, les avocats, les notaires, qui souhaiteraient employer des étudiants plus opérationnels, qui ont une connaissance plus pratique et ont une plus grande maturité ».

Bigre ! La charge à l’encontre de l’Université française est lourde. Elle ne serait capable, ni de valoriser la filière droit, ni de préparer correctement les étudiants au monde professionnel. On passera sur la référence aux fameux classements internationaux des Universités, type Shanghai, qui sont à la fois ineptes et inutiles. Le modèle de comparaison étant contestable, la conséquence l’est tout autant.

Reste la critique qui choque le plus : celle selon laquelle l’Université ne formerait pas correctement les juristes de demain. La situation serait à ce point catastrophique qu’il faudrait faire table rase de ce qui existe, et proposer une formation parallèle basée sur trois axes « le droit des affaires et son environnement », les « humanités (…) et l’orthographe » (NDLA : curieux rapprochement) et le « social » (NDLA : ?). Certes, Me Lambert affirme qu’il n’est pas question « de tirer un trait sur l’Université », ce qui ne l’empêche pourtant pas de tirer à vue sur elle.

La critique est en effet injuste. Il y a beau temps que l’Université se préoccupe de l’insertion professionnelle de ses étudiants, souvent avec réussite, même s’il existe effectivement une vraie disparité entre les formations. Beaucoup d’étudiants, et visiblement de professionnels, ignorent que les formations des Universités françaises sont notées par une agence, l’AERES, en fonction de critères prédéfinis, au sein desquels figure évidemment la capacité d’une formation, et notamment d’un master, à offrir à ses étudiants des débouchés professionnels. Tous les rapports de cette agence sont d’ailleurs publics et consultables en ligne. Les étudiants curieux et soucieux de leurs orientations pourront donc aller lire ces rapports et se faire une idée des forces et des faiblesses des formations qu’ils convoitent. Les professionnels pourraient même user de ces rapports pour jauger la formation des candidats aux emplois qu’ils offrent, plutôt que de se référer à l’équation simpliste « grande université = bonne formation ; petite université = mauvaise formation ».

Au demeurant, s’il est vrai que les avocats, en particulier, « souhaiteraient employer des étudiants plus opérationnels, qui ont une connaissance plus pratique et ont une plus grande maturité », peut-être faudrait-il se retourner, non pas vers les facultés de droit, mais vers les écoles de formation du barreau dont l’objet est normalement de préparer à la pratique professionnelle. Mais ce serait là rejeter une injustice sur d’autres, ce qui n’est pas très élégant…

L’auteur de ces lignes ne prétend cependant pas que la formation à l’Université est parfaite et ne saurait souffrir de critiques. Ce serait répondre à la caricature par la caricature. Toutefois, le salut ne passe sans doute pas par la création d’écoles privées de droit, dotées de moyens importants, ponctionnés cela dit sur les étudiants par le biais de frais d’inscription que le professeur P.-H. Antonmattei a pu qualifier d’ « extravagants ». Loin « d’accompagner » les facultés de droit, ces écoles pourraient au contraire leur faire concurrence, et surtout leur faire une concurrence déloyale. Il se créerait en effet un système à deux vitesses : celui des heureux lauréats de ces écoles, qui ont pu y accéder et payer les frais afférents, et ceux qui iront donc, par défaut, à l’Université. Certes, le diplôme serait celui de l’Université partenaire, mais personne ne serait dupe, et le prestige de l’Université, qu’il est urgent de restaurer, en prendrait encore un coup.

Est-il si iconoclaste de regretter que les écoles aient « meilleure presse » que l’Université, au point même que les Universitaires se soient sentis obligés de baptiser leurs filières d’excellence « école » ! Face aux écoles privées, les facultés de droit auront du mal à résister. L’exemple des écoles de commerce est patent. Elles ont pris le pas sur la formation universitaire et il se trouve peu d’anciens étudiants pour les critiquer. Certainement parce que la formation dispensée y est bonne, mais peut-être un peu aussi parce qu’après avoir autant investi financièrement, un étudiant serait mal avisé de critiquer son diplôme alors qu’il est en attente du retour sur investissement.

Finalement, on en viendrait presque à se demander si l’Université n’est pas victime de cette « idée » qui veut que seul ce qui est cher a de la valeur. Pourtant, les lecteurs du site Dalloz Actu Étudiant savent bien que la valeur n’est pas que vénale…

 

Auteur :Mathias Latina


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