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Le billet

[ 25 janvier 2016 ] Imprimer

Les économistes ne sont pas les amis des juristes

Dans le cadre de la construction européenne, les règles juridiques et en particulier celles concernant la discipline budgétaire imposée aux États membres de l’Union européenne, ont été élaborées en considération de références et concepts économiques précisément identifiés. Parmi les contraintes imposées aux États membres, celle de limiter leur déficit public à 3 % de leur PIB et de maîtriser leur endettement public à hauteur de 60 % de leur PIB.

La question s’est posée de la pertinence de leurs fondements s’agissant plus particulièrement de la limitation fixée à 3 % de déficit public. La presse s’est emparée du sujet (Les Échos, Déficit public : l’histoire secrète du 3 %, 3 oct. 2014), les parlementaires se sont étonnés…

Un pourcentage dont, selon l’histoire que l’on en donne désormais, la paternité revient à la France lorsqu’à l’occasion de l’accession de François Mitterrand à la présidence de la République, un plafond budgétaire de 3 % du PIB fut imposé aux ministères dépensiers. 

La demande avait alors été formulée aux économistes d’une limite à fixer au niveau de déficit supposé supportable pour la France. Ces mêmes économistes qui, interrogés quelques années plus tard sur la pertinence de cette référence, avaient avoué qu’elle était dénuée de fondement économique pertinent. 

Même cause, même effet, avec le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en matière budgétaire) alors que doit désormais être distingué au sein du solde budgétaire d’un État, son solde structurel de son solde conjoncturel : le premier tenant à la structure des prélèvements et dépenses publics, tandis que le second est lié à l’activité économique et aux incidences de cette dernière sur le solde budgétaire.

Contrainte renouvelée de limitation du déficit public à 3 % du PIB, avec une distinction à opérer désormais entre un déficit structurel contenu à hauteur à 0,5 % de ce PIB et un déficit conjoncturel limité à 2,5 % du PIB.

Mais encore une fois, ce fondement économique apparaît dénué de toute pertinence. Le Professeur Jacques Le Cacheux y voit, certes, « une règle moins stupide que la règle initiale, du point de vue de l’analyse économique » mais qui « reporte l’arbitraire sur l’évaluation du solde structurel, peu robuste » (L’économie française en question : Dette publique, déficit budgétaire, prélèvements obligatoires : comment concilier des exigences contradictoires ?, La Doc. Fr., Cahiers français n° 347, Découverte de l’économie vol. 2, p. 51).

Et d’une manière générale, il faut comprendre que le juriste a tout à s’inquiéter lorsqu’il a à appliquer des règles juridiques dont les ressorts dépendent de références économiques et qu’il a à se méfier de ces prédications économiques, auxquelles on voudrait bien accorder du crédit mais qui, à l’usage, démontrent trop souvent leur absence de pertinence. Et plus globalement, la difficulté qui est la sienne à justifier ce qui l’est difficilement alors que tant de positions économiques lui sont présentées comme certaines mais dont la pratique révèle les limites.

Un autre exemple peut être donné. Ainsi, la crise financière, apparue en 2007 avec les subprimes américains, a conduit à mettre en difficulté de nombreux États, suspendus aux notations que pouvaient délivrer les agences de notation. L’inquiétude était généralisée et selon le discours de l’époque il ne fallait surtout pas que la note d’un État baisse, au risque pour ce dernier de voir les taux d’intérêt pratiqués sur les emprunts qu’il pouvait contracter, augmenter de manière significative. Cette mécanique était largement relayée à l’époque (pour un ex. : Le Figaro, La Grèce sous la pression des agences de notation, 25 févr. 2010). 

Les suites de l’histoire ont démontré que certains États, qui ont vu leur note abaissée, ont également enregistré une baisse de leurs taux d’intérêt. C’est le cas de la France qui, en dépit de la baisse de sa notation, a emprunté à des taux historiquement faibles (Les Échos, La notation souveraine des agences et ses enjeux, 13 févr. 2013. V. également S. Moatti, Pourquoi l’Etat français emprunte à des taux d’intérêt aussi bas, Alternatives économiques, n° 325, juin 2013). 

Une illustration supplémentaire de ce qu’il ne fallait pas prendre pour argent comptant, ces prédictions économiques, et une brève démonstration de ce que le juriste peut peiner dans ses tentatives d’explication des tenants et aboutissants des règles juridiques applicables dès lors qu’elles sont corrélées à des notions économiques aux fondements des plus incertains.

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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