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Les élections européennes sont devenues des « midterms » à la française
À l’heure où sont publiés les résultats des élections législatives anticipées, à défaut de pouvoir prédire le futur, il est intéressant de faire un retour en arrière de quinze jours pour essayer de comprendre le nouveau statut que sont en train d’acquérir les élections européennes et qui les fait singulièrement ressembler aux « midterms », les élections de mi-mandat qui se déroulent aux États-Unis.
Il en va du calendrier électoral comme du calendrier astronomique : chaque élection suit son cycle et il peut arriver des « conjonctions » d’élections comme il y a des conjonctions de planètes. Ainsi par exemple, les élections législatives (tous les 5 ans) et les élections municipales (tous les 6 ans), qui s’étaient déjà rencontrées en 1995 auraient dû avoir lieu la même année en 2032 si la dissolution n’était pas venue modifier le cycle législatif. La dissolution, d’ailleurs, est l’outil le plus puissant pour forcer le calendrier électoral. C’est pourquoi les présidents de la République élus pour 7 ans l’ont utilisé pour essayer de synchroniser le temps du Parlement avec le leur. Ce fut le cas pour François Mitterrand en 1981 et 1988 mais aussi de Jacques Chirac en 1997 qui espérait, avec cette dissolution décidée après deux années de mandat, terminer celui-ci avec une majorité parlementaire conforme à ses choix. La réforme du quinquennat a rendu inutiles ces dissolutions puisque désormais, calendrier législatif et calendrier parlementaire sont de même durée et donc, sauf accident, liés l’un à l’autre.
Mais, dans ce calendrier des cycles électoraux, deux élections depuis le début du siècle évoluent strictement au même rythme : il s’agit de l’élection présidentielle et de l’élection des parlementaires européens : 2002 et 2004, 2007 et 2009… 2022 et 2024. C’est un effet induit par la susdite réforme du quinquennat, qui conduit à ce que la durée du mandat du Président soir la même que celle des membres du Parlement de Bruxelles et Strasbourg. Et cela se poursuivra tant qu’un évènement inopiné, comme une démission, ne bouleversera pas le rythme de l’élection présidentielle.
Cette observation mérite d’être placée en regard d’une seconde qui concerne l’évolution des taux de participations aux différentes élections depuis le début du xxie siècle. La tendance est ici frappante et bien connue : depuis 2000, poursuivant un mouvement entamé antérieurement, tous les types d’élections connaissent une érosion de la participation électorale. Elle est significative pour l’élection présidentielle et même très forte pour les élections législatives pour lesquelles on est passé de 35 à 52 % d’abstention au 1er tour, entre 2002 et 2022. Dans la pluralité des causes de cette désaffection, celle liée au fait que, depuis la réforme du quinquennat, les élections législatives ne sont finalement plus que des élections de confirmation du choix présidentiel qui pèse sans doute d’un grand poids.
Toutes les élections sont soumises à cette érosion de la participation ? Non, il en est une qui résiste et qui connaît une pente exactement contraire : il s’agit de l’élection des députés au Parlement européen. Après avoir connu un point bas en 2009, avec 60 % d’abstention, ce qui en faisait la plus « décotée » des élections, elle a vu son taux de participation croître systématiquement : 40 % en 2009, 42 % en 2014, 50 % en 2019 et 52 % en 2024. On vote même désormais davantage aux élections européennes qu’aux élections législatives ! Cette tendance vaut pour une grande partie des pays membres de l’Union européenne, mais elle revêt en France une signification particulière. Les trois derniers scrutins, de 2014, 2019 et 2024 ont été marqués par une très sévère défaite pour la majorité présidentielle et parlementaire : moins de 14 % pour le parti socialiste, deux ans après l’élection de François Hollande, 22 % pour les listes « En marche » en 2019, battues par le Front National en pleine crise des gilets jaunes et la déroute que l’on sait cette année.
La hausse constante de la participation et le résultat mauvais voire catastrophique pour la majorité en place, à chaque fois depuis à peine deux années, montrent que les élections européennes ont acquis, dans le rythme quinquennal des élections nationales, le statut d’élections de mi-mandat. Elles constituent désormais un référendum sur la politique engagée par le Président et l’Assemblée nouvellement élus. Comme les « mid-terms » aux États-Unis, ces élections intermédiaires sont particulièrement périlleuses pour le pouvoir en place car elles se déroulent au moment où le poids des réalités est le plus rudement confronté aux espoirs nés des campagnes électorales présidentielles.
Ainsi, par une sorte de « ruse » de la démocratie et du corps électoral, privés de la possibilité de s’exprimer durant cinq années, a été trouvé le moyen de ces élections européennes pour faire entendre la voix du peuple. Dans cette perspective, la dissolution de l’Assemblée Nationale prononcée en 2024 ne doit pas seulement être analysée comme un « coup politique », elle doit aussi, et peut-être surtout, être lue comme la réponse que le pouvoir est conduit à donner aux résultats de ce référendum qui lui a été défavorable. Et, dans le contexte difficile d’une majorité parlementaire relative, le « niveau » de réponse institutionnel a été très élevé. Naturellement, cela ne signifie pas que chaque future élection européenne aura la même incidence mais il ne fait pas de doute que la séquence politique de 2024 constituera un précédent et que, tant que la synchronisation des calendriers électoraux demeurera, le scrutin européen de mi-mandat continuera de jouer un rôle majeur sur le devenir de la majorité au pouvoir surtout si, comme cela a été le cas des trois derniers scrutins, la participation électorale se maintient à un niveau élevé voire continue d’augmenter.
En divisant ainsi en deux parties presque égales le quinquennat présidentiel et législatif, l’élection des députés européens devient ainsi un des temps forts les plus structurants de la vie politique nationale. Cela pourra avoir, comme aux États-Unis, des effets sur l’exercice du pouvoir : le camp présidentiel aura tout intérêt à accélérer le rythme des réformes de rupture qui constituent sa signature politique, tandis que les oppositions pourront faire de cette élection le point de départ de leurs offres d’alternance.
Avec de nombreux observateurs, on peut regretter cette « nationalisation » d’une élection en principe européenne mais, paradoxalement, ce sont justement ces enjeux nationaux qui conduisent à faire du scrutin européen une élection de première importance. Par idéalisme, on préférerait qu’on s’intéresse à l’Europe pour elle-même, par réalisme on admettra que finalement, placer ainsi les enjeux européens au cœur de la vie politique nationale est une manière efficace de leur donner de l’importance.
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