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[ 16 octobre 2017 ] Imprimer

Les premiers amendements proposés par la Commission des lois du Sénat : retouches ou refonte de l’ordonnance du 10 février 2016 ?

 

■ Quand le corps des amendements proposés révèle l’esprit des changements espérés

Alors que le corps des textes du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est encore tiède, la Commission des lois du Sénat présidée par le sénateur François Pillet propose, après plusieurs semaines d’auditions, quelques amendements en projection de la future loi de ratification. Il s’agit certes d’une première étape, la commission ayant validé le 11 octobre dernier plusieurs amendements qui attendent d’être débattus en séance le 17 octobre prochain. Le tout sera ensuite discuté devant l’Assemblée nationale. Nous n’en sommes donc qu’au tout début du processus. Il n’est cependant pas inutile d’exposer brièvement le corps des premiers amendements proposés qui en dit beaucoup sur l’esprit des changements espérés : plus d’efficacité économique et moins de justice contractuelle.

■ Ratification-homologation, ratification-rectification, ratification-révision

Trois solutions s’offraient à la Commission : une ratification-homologation, ratification « sèche » (N. Molfessis), sans aucune modification, une ratification-rectification, minimaliste en corrigeant les erreurs de plume et les principales controverses nées de l’interprétation de certaines dispositions, ou encore une ratification-révision en procédant sur certains points à une véritable refonte. Si la Commission a rejeté toute ratification-homologation, elle prétend dans le rapport qui accompagne le projet de loi de ratification du 11 octobre se limiter à corriger les erreurs de plume et à régler les problèmes d’interprétation. Elle va pourtant bien au-delà de ce cahier des charges qu’elle s’était imposé. Plus exactement, la commission reste au milieu du gué hésitant entre une simple rectification et une véritable révision. En d’autres termes, si certains amendements sont conformes à la belle vertu chère à Aristote du juste milieu, de nombreuses propositions pèchent par excès et par défaut.

■ Le juste milieu

Il faut, tout d’abord, féliciter la Commission des lois du Sénat pour la qualité du travail fourni et pour l’écoute accordée aux praticiens (juristes et non juristes) et aux universitaires, lors de la période des auditions, même si les milieux économiques, MEDEF en première ligne, semblent avoir été plus influents. La démarche est appréciable et avait déjà fait ses preuves lors de la consultation publique du projet d’ordonnance de février 2015. Cet échange a permis à la Commission d’identifier de nombreuses incohérences et imperfections et de les corriger à bon escient. Les spécialistes du droit des personnes morales seront tout d’abord rassurés par la proposition de suppression de toute référence à la notion « d’acte utile à la réalisation de l’objet social » à l’article 1145, alinéa 2 du Code civil relatif à la capacité des personnes morales et par la limitation de l’article 1161 du Code civil sur les conflits d’intérêts aux seules personnes physiques. Beaucoup verront d’un bon œil la mise en cohérence des articles 1112-1 et 1137 du Code civil confirmant qu’un silence gardé sur la valeur de la prestation ne peut donner lieu à la nullité pour réticence dolosive. Le contrat de prestation de service de l’article 1165 du Code civil est, discrètement mais sûrement, réduit au simple contrat d’entreprise et un amendement propose d’ajouter à la demande de dommages et intérêts celle de la résolution en cas de fixation abusive du prix. On appréciera aussi la précision apportée à l’article 1112 du Code civil pour exclure formellement la perte de chance de tirer profit du contrat, confortant la jurisprudence Manoukian (Com. 26 nov. 2003, n° 00-10.243 00 et 00-10.949). Au nom d’une plus grande sécurité juridique, il faut se féliciter de la volonté de supprimer les références au délai raisonnable (not. pour les actions interrogatoires, C. civ., art. 1123 et 1158) pour le remplacer par un délai de deux mois. On peut également adhérer à la réécriture de l’article 1223 du Code civil sur la réduction unilatérale du prix dont les termes rendaient difficile la compréhension de cette disposition. On peut comprendre l’effort fourni pour clarifier le régime général des obligations en supprimant le terme « intervenue » en matière de compensation laissant entendre que la caution ne pouvait pas l’opposer au créancier si le débiteur ne s’en était pas prévalu (C. civ., art. 1347-6). L’exigence d’un écrit pour la cession de dette au même titre que la cession de créance et que la cession de contrat est une harmonisation heureuse (C. civ., art. 1327-1). L’encadrement de l’éviction de l’exécution forcée en nature en cas de disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier par la bonne foi est appréciable même si elle paraissait évidente (C. civ., art. 1221). Des erreurs de plume sont également corrigées notamment en matière de restitutions (C. civ., art. 1352-4 pour les incapables). Enfin, la substitution de la catégorie d’« opération à caractère international » à celle de « contrat international » lève opportunément un doute sur la consolidation de la jurisprudence antérieure (C. civ., art. 1343-3).

L'essentiel du travail proposé par le Sénat comporte cependant de nombreux vices.

■ L’excès

Certains amendements pèchent, en premier lieu, par excès en s’éloignant de la ratification-rectification pour se rapporter à une ratification-révision. On peut, tout d’abord, s’étonner de la caducité de l’offre en cas de décès du destinataire. En complétant l’article 1117 du Code civil, la Commission des lois du Sénat raisonne par analogie avec le cas du pollicitant, raisonnement qui ne convainc pas. Autant dans une conception volontariste de l’offre, on peut comprendre que le décès de l’offrant entraîne caducité de l’offre, autant on comprend mal pourquoi, en dehors d’une offre faite intuitu personae, le décès du bénéficiaire ne permettrait pas aux héritiers d’exiger du pollicitant qu’il respecte son offre sinon pendant un délai raisonnable, du moins pendant le délai auquel le pollicitant s’est engagé. L’excès concerne encore la définition du contrat d’adhésion modifiée pour intégrer la notion de « négociabilité » dans les alinéas 1 et 2 de l’article 1110 du Code civil. Selon la Commission, « le contrat de gré à gré serait celui dont toutes les clauses sont négociables, même si elles ne sont pas effectivement négociées, tandis que le contrat d’adhésion serait celui qui comporte des clauses non négociables déterminées à l'avance par l’une des parties ». On est loin d’abord de la ratification-rectification car c’est une modification substantielle portant sur l’une des dispositions phares de l’ordonnance ! Ensuite, qu’est-ce que la négociabilité ? Qui aura la charge de la preuve du caractère négociable ? Peut-on réduire le contrat d’adhésion à un contrat dont certaines clauses ne sont pas négociables ? Enfin, comme le confirme l’article 1171 du Code civil, modifié par voie de conséquence, l’appréciation se fera clause par clause, une clause négociable ne pouvant plus être déclarée abusive ! C’est un recul considérable et à vrai dire peu clair par rapport au texte initial. On peut également regretter la modification apportée à l’article 1304-4 du Code civil. Cette disposition concerne apparemment la condition résolutoire et la condition suspensive. Il ne faut donc pas substituer le terme « défaillie » à celui d’« accomplie », comme le propose la Commission, mais l’y adjoindre. Un autre excès critiquable est la proposition de réduire l’abus d’état de dépendance à l’hypothèse économique. Si cette extension de la violence est censée intégrer en droit français la lésion qualifiée ou l’abus de faiblesse, elle ne peut être réduite à la seule dépendance économique. Nous sommes loin en tout cas de la simple rectification. Certes, les contours de cet abus ne sont pas précisés mais il faut sur ce point faire confiance au juge. Un autre recul de taille est la suppression du pouvoir de révision du juge en cas d’imprévision, ce qui revient à vrai dire à priver l’article 1195 du Code civil de tout intérêt. Enfin, la Commission souhaite interdire au juge, au sein de l’article 9, d’user de la théorie de « l’ordre public » (sic) et de l’effet légal pour fonder l’application immédiate des dispositions nouvelles. Deux précisions s’imposent. En premier lieu, l’ordre public ne suffit pas à fonder l’application immédiate d’une loi nouvelle car il faut un « ordre public impérieux ». Quant à l’interdiction de se référer à tout effet légal du contrat, elle ne règlera pas le problème posé par les arrêts cités en exemple, à savoir des arrêts dans lesquels le juge a statué à la lumière de l’ordonnance sans application immédiate des règles nouvelles et sans référence aucune à l’effet légal. Quel que soit l’avis porté sur cette interprétation « à la lumière de… », la modification proposée par la Commission ne règlera rien et le juge pourra continuer formellement ou de manière informelle à s’inspirer de l’ordonnance.

Ce sont donc des piliers de la réforme qui sont modifiés. On est loin d’une rectification à la marge : les clauses abusives dans les contrats d’adhésion, la révision pour imprévision, l’abus d’état de dépendance, priver le juge de la théorie de l’ordre public impérieux et de l’effet légal du contrat…

■ Le défaut

A l’excès s’ajoute, en deuxième lieu, le défaut. Même en restant dans les limites d’une ratification-rectification, plusieurs amendements auraient pu voir le jour. Tout d’abord, l’article 9 aurait mérité d’être enrichi pour intégrer les dispositions relatives au régime général des obligations et les questions de preuve non traitées. Ensuite, si de nombreuses dispositions suscitent une interrogation de la pratique, c’est surtout car leur caractère supplétif fait débat (C. civ., art. 1124, al. 2, art. 1221, art. 1223, art. 1195 et pouvoirs du juge, art. 1304-4 …). Même si la Commission prétend avoir réglé ces questions, rien dans les amendements ne permet de le confirmer. Une précision rédactionnelle, telle que « sauf clause contraire » ou « à moins que les parties n’en disposent autrement », aurait pu suffire. Enfin, au fond, plusieurs textes auraient pu être légèrement amendés. Sans exhaustivité : modifier l’article 1105 pour qu’il soit en conformité avec la jurisprudence antérieure (critère de l’incompatibilité), modifier la définition du contrat-cadre pour renforcer l’autonomie des contrats d’application (art. 1111), remplacer « déterminant » par « pertinent » au sein de l’article 1112-1 du Code civil, ajouter « déterminables » dans la définition de la promesse unilatérale (C. civ., art. 1124, al. 1er), supprimer le vocable « conditions substantiellement différentes » au sein de l’article 1130 pour revenir à une distinction plus simple (« n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes »),  présumer l’abus en cas d’état de dépendance à l’égard du cocontractant (art. 1143), préciser que la prestation renvoie à la chose et au prix (art. 1163), augmenter le délai à un an dans le cadre de l’action interrogatoire en matière de nullité (art. 1183), valider expressément la clause de divisibilité (art. 1186), exiger des obligations corrélatives et le respect de la proportionnalité dans l’exception d’inexécution (art. 1219), améliorer la rédaction relative aux effets de la résolution sur les clauses contractuelles (art. 1230), clarifier le droit des restitutions et le droit de la preuve…

Même si nous n’en sommes qu’au début des débats et même si le Sénat n’est qu’une première étape dans le processus de ratification, il est plus prudent d’attirer l’attention sur des propositions qui, il faut l’avouer, privent l’ordonnance d’une grande partie de son caractère novateur privilégiant une approche très économique au détriment de la justice contractuelle. Sous couvert de retouches, le Sénat propose une véritable refonte. Restons vigilants !

 

Auteur :Mustapha Mekki


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