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Les procédures d’adoption des lois financières au lendemain des annonces sociales du Président Macron
Lundi 10 décembre, 20 h, le Président Macron a réuni, pour son discours, 21 millions de téléspectateurs – mieux que pour la finale de football de juillet dernier.
Une intervention des plus attendues alors que la France est secouée par des manifestations à répétition qui ont déjà causé, à l’économie française, et (in)directement au peuple français, des dégâts irréparables.
Le débat s’est ensuite largement engagé sur la portée des mesures annoncées – dont la pertinence a été/est appréciée à l’aulne des considérations politiques de beaucoup et des conséquences sociales et économiques des mesures envisagées.
Des mesures à effet quasi immédiat et dont les conséquences – budgétaires – doivent nécessairement être prises en compte dans le cadre des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, alors que les dépenses et recettes publiques vont bien évidemment, être affectées dans leur contenu : l’ « augmentation » du smic de cent euros par mois à compter du 1er janvier 2019, la défiscalisation des heures supplémentaires, la suppression de la hausse de la CSG pour les retraites inférieures à 2000 € par mois… (Pour une analyse de ces incidences, voir notamment Terrasse Y., L’État d’urgence économique et sociale, 11 déc. 2018).
Pour la loi de financement de la sécurité sociale, la procédure est déjà bien avancée. Cette loi a été adoptée définitivement par les assemblées parlementaires le 28 novembre 2018 et a été portée devant le Conseil constitutionnel pour contrôle de sa constitutionnalité, le 10 décembre.
Le projet de loi de finances pour 2019 a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 20 novembre et modifié par le Sénat le 11 décembre. Ce dernier a apporté d’importantes modifications au texte. Le Sénat avait également acté/anticipé, dès le 14 novembre, le gel de la hausse des taxes sur le carburant et a, suite aux annonces présidentielles, en seconde délibération, revalorisé la prime d’activité « malgré le flou qui entoure (…) ce dispositif » (Rapport CMP 12 déc. 2018, p. 6).
Le 12 décembre, la commission mixte paritaire a été saisie et chargée de proposer un texte commun sur le projet de loi de finances pour 2019.
Un texte qui doit, en principe, être définitivement adopté pour le 20 décembre (date limite fixée dans le cadre de la procédure budgétaire d’adoption des lois de finances initiales) et doit s’appliquer à compter du 1er janvier 2019. Autant dire que les délais sont particulièrement contraints…
Circonstances que certains ont déplorées (Voir notamment page Facebook de Christian Eckert, post du 11 décembre).
Rappelons, à grands traits, les étapes classiques d’adoption du projet de loi de finances :
- une première lecture devant l’Assemblée nationale, qui examine le texte en priorité par rapport au Sénat, signe visible de la priorité accordée à la chambre basse, héritage de notre Révolution française de 1789 alors qu’a été inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’il revient à la représentation nationale de consentir l’impôt (DDH, art. 14) et que le premier mot est accordé à la chambre basse (Const. 58, art. 39) ;
- une première lecture devant le Sénat ;
- et si ces deux assemblées ont adopté toutes deux le projet de loi de finances, une loi de finances qui prend place au sein de notre hiérarchie des normes.
Bien évidemment, un désaccord peut apparaître entre ces deux assemblées. C’est alors la Commission mixte paritaire qui est sollicitée.
Il faut relever à ce stade, qu’une deuxième lecture avant commission mixte paritaire n’est pas possible en matière de lois de finances initiales en raison de la nécessité d’être pourvu d’une telle loi pour le 1er janvier suivant, et donc dans des délais relativement contraints puisque le Parlement dispose de 70 jours pour adopter cette loi.
Le texte de compromis élaboré par la Commission mixte paritaire est ensuite soumis à l’Assemblée nationale puis au Sénat.
Dans l’hypothèse où ces deux assemblées ne seraient toujours pas tombées d’accord, le dernier mot est donné à l’Assemblée nationale… Il n’est donc pas anodin de relever que les orientations budgétaires de la France pour une année donnée peuvent ne résulter que de la volonté de la chambre basse, écartant d’emblée toute portée au désaccord affiché par le Sénat.
Précisons enfin, que dans l’hypothèse où l’Assemblée nationale elle-même serait opposée au texte, le Gouvernement dispose des procédures constitutionnelles classiques telles que le 49-3 (engagement de la responsabilité du Gouvernement) pour imposer le texte. Une issue qui a pu être usitée de manière relativement conséquente dans les années 1980 – avec une palme décernée au Gouvernement Rocard qui l’a utilisée 12 fois -, utilisée pour la dernière fois en 1993 et auquel les Gouvernements successifs n’ont pas eu recours depuis.
En parallèle, le Gouvernement peut déclencher des procédures d’urgence afin de s’assurer que pour le 1er janvier, la France est bien dotée d’un budget. Ces procédures décrites à l’article 45 LOLF (Loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001) ont vocation à être déclenchée pour le 11 décembre (projet de loi partiel) et pour le 19 décembre (projet de loi spécial) par le Gouvernement (Sur le détail de ces procédures, il est renvoyé à S. Damarey, Droit public financier, Précis Dalloz, oct. 2018, p. 98, n° 144 s.).
Voilà les règles applicables à la procédure d’adoption des lois de finances.
Il est bien évident que les annonces présidentielles vont nécessiter des modifications du contenu des lois financières. La question se pose du temps disponible pour ce faire.
A propos du projet de loi de finances, dès la Commission mixte paritaire, l’accent a été porté sur ce « sentiment (…) d’inachevé ». Avec les différentes annonces, les grands équilibres financiers vont être fortement modifiés par rapport au projet de loi de finances de départ. Nous ne savons pas aujourd’hui quel sera le montant exact du déficit, s’il y aura des mesures en recettes ou un nouveau projet de loi de finances rectificative, quelle sera la nouvelle trajectoire des finances publiques. Malheureusement, le délai constitutionnel d’examen des lois de finances ne nous permet pas de travailler plus longuement sur ce budget, ce qui aurait été nécessaire dans ce contexte » (A. de Montgolfier, sénateur, rapport pour le Sénat, p. 7).
Sans surprise, la Commission mixte paritaire, réunie le 12 décembre, a échoué. Les nombreuses modifications apportées au texte par le Sénat le laissaient supposer.
La suite devrait se concrétiser au moyen d’amendements à venir du Gouvernement… la semaine du 17 décembre sera cruciale à cet effet.
En parallèle, les annonces présidentielles laissent supposer des modifications importantes à apporter à la loi de financement de la sécurité sociale. Outre l’hypothèse d’une loi de financement rectificative, le Gouvernement a également la possibilité, alors que cette loi a été soumise au Conseil constitutionnel et n’a donc pas encore été promulguée, de faire usage des dispositions de l’article 10 de la Constitution : la possibilité, avant promulgation, de demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles.
Bien évidemment et comme cela a été souligné à l’occasion de la Commission mixte paritaire, la seconde délibération au Sénat sur l’article relatif à la prime d’activité permet à l’Assemblée nationale de travailler sur le sujet. Mais il faudra très probablement envisager un projet de loi de finances rectificative début 2019.
Ce qui permettra également de régler le problème de l’article liminaire, alors que les annonces présidentielles vont nécessairement influer sur le niveau de déficit budgétaire - niveau qu’il convient encore de préciser.
En l’état, cet article n’est en effet plus opérationnel. Il ne devrait toutefois pas subir les foudres du Conseil constitutionnel alors que ce dernier a très largement démontré les limites de son action en la matière. Un euphémisme…
La difficulté pourrait également venir de l’Europe mais là, également, les premières réactions (Voir notamment P. Moscovici) permettent de comprendre que la France dispose de réelles marges de manœuvre en la matière. Les éléments politiques, objectifs et factuels rassemblés laissent supposer que les mesures annoncées devraient être comptabilisées dans le déficit conjoncturel de la France – coupant l’herbe sous le pied de l’Italie qui entendait bien profiter du cas français pour mieux justifier sa position.
On l’aura compris, le Parlement se trouve placé dans une situation peu confortable avec une procédure budgétaire menée à « la va comme je te pousse »… Optimistes, les parlementaires pensent en avoir terminé avec ce projet le 24 décembre au plus tard supposant ne pas « être concernés par une réouverture de la session entre Noël et le jour de l’An » (Rapport CMP, 12 déc. 2018, propos du député Joël Giraud, rapporteur pour l’Assemblée nationale). A cet effet et encore une fois, la semaine à venir sera décisive et permettra d’identifier, parmi les hypothèses évoquées dans le cadre de ce billet, celles finalement retenues. A vos pronostics…
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