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Les projets de loi sur la transparence de la vie publique : l’art de ne pas satisfaire lorsqu’on est trop rapide et trop court à la fois !
L’affaire « Cahuzac » a constitué un véritable tsunami médiatique obligeant le gouvernement à réagir rapidement afin de restaurer ou de maintenir la confiance des citoyens dans la classe politique. Un mot d’ordre : moraliser la vie publique ! Pour ce faire, le 24 avril 2013, deux projets de lois ont été adoptés en Conseil des ministres instaurant la Haute autorité de la transparence et renforçant la lutte contre les conflits d’intérêts. Dans la forme comme au fond, ces projets de lois laissent quelque peu dubitatif.
■ Dans la forme, la loi n’est manifestement plus ce qu’elle était et l’incident « Cahuzac » en est une belle illustration ! À ce qui devrait être et devrait rester un simple fait divers, aussi scandaleux soit-il, le relais des media et la frilosité du gouvernement en ont fait une question de société. Avait-on réellement besoin de réagir aussi rapidement, par une succession de lois supplémentaires, pour remédier au mal provoqué par le mensonge honteux d’un homme politique isolé ? La précipitation inopportune du vote de la loi sur le « mariage pour tous », aussi pertinente soit-elle sur le fond, aurait dû servir de leçon. En outre, faut-il employer l’artillerie lourde lorsque le problème suppose une frappe chirurgicale ? On a le sentiment que le gouvernement a décidé de marquer les esprits au moyen d’une loi dont la force symbolique dépasse son contenu normatif. Le gouvernement aurait eu intérêt à relire les mots de Jean le Rond d’Alembert (Disc. prélim. Encycl. Oeuv. t. I, p. 218, in Pougens) : « La politique [est une] espèce de morale d'un genre particulier et supérieur, à laquelle les principes de la morale ordinaire ne peuvent quelquefois s'accommoder qu'avec beaucoup de finesse ».
Les lois de circonstances, élaborées sous la pression de « l’opinion publique », sont le témoin d’une technique législative en dérive qui n’a pas su tirer les leçons d’un Portalis ne cessant de rappeler, à propos du Code civil, que les lois se font avec le temps mais que, à proprement parler, on ne les fait pas (« Les codes des peuples se font avec le temps ; mais à proprement parler, on ne les fait pas », J.-E.-M. Portalis, 1er pluviôse an IX, 21 janvier 1801, Arch. Parlem., 2/6/196/2). Le gouvernement donne l’impression de légiférer en tremblant. Ce n’est cependant pas au sens où l’entendait le doyen Carbonnier. Trembler est signe d’hésitation et un appel à la réflexion chez ce dernier (v. « Scolie sur le non-droit ») ; trembler symbolise la précipitation et la nervosité chez les membres du gouvernement.
Alors, bien entendu, l’effet médiatique est indéniable et, selon les sondages, les Français apprécient cette réaction du gouvernement et les mesures envisagées. Reste que la fonction d’une loi ne se réduit pas à une chambre d’enregistrement d’une « opinion publique » changeante relayée par les media et doit en tout état de cause laisser place à la réflexion. Le jugement peut paraître sévère et, pour être honnête, le gouvernement a peut-être jugé qu’après les commissions « Sauvé » (Décr. n° 2010-1072 du 10 sept. 2010 instaurant une commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique) et « Jospin » (Décr. n° 2012-875 du 16 juillet 2012 portant création d'une commission de rénovation et de déontologie de la vie publique), le temps de la réflexion devait laisser sa place au temps de la législation. Mais c’est alors le fond des projets qui laisse perplexe, projets articulés autour du thème de « la transparence ».
■ Sur le fond, afin de restaurer la confiance, le gouvernement entreprend d’instaurer plus de transparence. Est transparent, selon le Littré, ce « qui se laisse pénétrer par une lumière assez abondante pour permettre de distinguer nettement les objets à travers leur épaisseur ». La transparence a ses vertus et ses vices. Vertueuse, elle évoque « la vérité, la limpidité, la pureté » (J.-D. Bredin) qui s’opposent au glauque, à l’obscurité, à l’opacité, à la tricherie, au mensonge. Cependant, la transparence est également pleine de vices et renvoie aux célèbres « tendances vitricides » du doyen Carbonnier. La discrétion et l’intimité ont aussi des atouts que nos gouvernants ne doivent pas négliger.
Pour l’essentiel, les projets de loi prévoient la création d’une Haute autorité de la transparence de la vie publique qui absorberait l’ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique. Cette Haute autorité réceptionnera toutes les déclarations d’intérêts et de patrimoine et exercera son contrôle (v. Dalloz actualité 26 avril 2013). Selon un proverbe suisse, le diable se cache dans le détail et ce sont les modalités du décret en Conseil d’État qui feront de cette autorité administrative indépendante (AAI) soit un homme de main, au service de l’État, soit un simple homme de paille, trompe-l’œil en direction de l’« opinion publique ».
Pour lutter contre les conflits d’intérêts, une déclaration d’intérêts est imposée aux membres du gouvernement, parlementaires, principaux responsables exécutifs locaux, membres des AAI, collaborateurs des cabinets ministériels et du président de la République, titulaires d’emploi à la décision du gouvernement nommés en Conseil des ministres et responsables d’entreprises publiques. Très inspiré des travaux de la commission « Jospin », le projet de loi propose une définition du conflit d’intérêts : « une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics et privés [qui est] de nature à compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction », définition cependant moins ambitieuse que celle de la commission Sauvé (« Une situation d'interférence entre une mission de service public et l'intérêt privé d'une personne qui concourt à l'exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions »). En cas de conflit d’intérêts, la Haute autorité peut sommer la personne concernée d’y mettre fin. En cas de conflit d’intérêts, encore, la personne concernée doit se « déporter » et s’abstenir de prendre part à la prise de décision. De nouveau, on peut regretter que cela ne puisse pas être imposé, la décision de se déporter semblant appartenir à la seule personne concernée !
Un durcissement des sanctions pénales est également envisagé. Le délit de « pantouflage » (C. pén., art. 432-13), interdisant à un fonctionnaire à l’issue de ses fonctions l’entrée dans une entreprise avec laquelle il a été en relation, est étendu aux ministres et aux titulaires de fonctions exécutives locales. Le projet de loi envisage aussi d’interdire le cumul d’un mandat de député ou de sénateur avec « l’exercice d’une fonction de conseil ». On peut regretter que cette « fonction de conseil » ne soit pas expliquée et que le sort de l’avocat ne soit pas formellement évoqué. A contrario, l’avocat devrait pouvoir continuer à exercer ses fonctions en matière contentieuse !
En définitive, les mesures restent, au nom d’une transparence de façade, relativement timides en comparaison des propositions qui avaient pu être faites par la commission « Sauvé » et la commission « Jospin ». La performance normative du gouvernement reste décevante et les projets de lois, en l’état du moins, peuvent se résumer à deux mots : trop rapide et trop court à la fois !
Références
■ Projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique.
■ Projet de loi relatif à la transparence de la vie publique.
■ J. Carbonnier, « Scolie sur le non-droit », in Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, 1re éd., LGDJ, 1969 ; 10e éd. 2001, p. 48.
■ Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, Rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, remis au président de la République le 26 janvier 2011 : http://www.conflits-interets.fr/pdf/rapport-commission-conflits-interets-vie-publique.pdf
■ Pour un renouveau démocratique, Rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, remis au président de la République le 9 nov. 2012 : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/rapport_commission_rdvp.pdf
■ Article 432-13 du Code pénal
« Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 Euros d'amende le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.
Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l'une des entreprises mentionnées au premier alinéa.
Pour l'application des deux premiers alinéas, est assimilée à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément aux règles du droit privé.
Ces dispositions sont applicables aux agents des établissements publics, des entreprises publiques, des sociétés d'économie mixte dans lesquelles l'État ou les collectivités publiques détiennent directement ou indirectement plus de 50 % du capital et des exploitants publics prévus par la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom.
L'infraction n'est pas constituée par la seule participation au capital de sociétés cotées en bourse ou lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale. »
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