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Le billet
Les temps du droit
Couple infernal, s’il en est, que celui formé par le droit et le temps. L’histoire du droit est celle d’une délicate entreprise d’ajustement du cadre juridique à son époque, mais aussi d’ajustement du temps nécessaire au droit avec à ce dernier égard une indépassable dialectique des bienfaits de la célérité et de l’éloge de la lenteur, dialectique dont témoigne à l’envi notre schizophrénique exigence d’une justice rapidement rendue et de jugements mûrement réfléchis.
Ceux qui rendent la justice comme ceux qui font le droit sont ainsi confrontés à cette problématique exigence de « gestion » du temps. L’actualité montre une justice qui peine à ne pas trop en perdre quand ceux qui font la règle de droit s’emploient surtout à en gagner.
Éloge de la lenteur disions-nous : pratiquement dix ans après la catastrophe de Gonesse, le tribunal de Pontoise se penche sur les causes du crash du Concorde. De longs mois de débats en perspective, un dossier de plusieurs dizaines de milliers de pages, et encore bien des zones d’ombres à lever. Justice trop lente ? On ne sait trop dire… L’histoire ne dit pas en tout cas si les familles des passagers, absentes du banc des parties civiles ont eu raison d’accepter les offres de l’assureur d’Air France (curieusement absent également du prétoire) sachant que, pour ce qui concerne l’indemnisation, la célérité transactionnelle se paie souvent du prix de l’incomplétude…
Du côté du législatif et de l’exécutif en revanche, l’heure serait plutôt aux calculs dilatoires. Nos pouvoirs publics, si prompts à faire du droit pénal et de la procédure pénale un chantier permanent (tant qu’à faire, pourquoi ne pas instituer un planning de révision, comme pour les lois bioéthiques actuellement en réexamen quinquennal) devront peut-être se faire violence pour hâter leur réflexion sur « la garde à vue à la française », stigmatisée par la Cour européenne des droits de l’homme, sachant que le juge français pourrait apporter sa contribution à la rupture du statu quo, le tribunal correctionnel de Paris ayant tout récemment annulé des gardes à vue pour non-conformité à la Convention européenne des droits de l’homme…
Nos gouvernants, qui ne répugnent pas en certaines circonstances à imputer la cause de la fièvre au thermomètre, pourront toujours rétorquer que les juges — ceux du Conseil constitutionnel — leur ont suffisamment fait perdre de temps sur l’important dossier écologique de la taxe carbone. Nos gouvernants qui viennent, il est vrai, dans ce domaine sensible qu’est l’environnement, de faire une belle preuve de leur habilité au jeu du sablier, dans une improbable tragi-comédie que quelque hebdomadaire satirique pourrait bien baptiser « À la recherche du thon perdu ».
Jeu de mot facile pour un compromis assez misérable, dont le seul mérite semble-t-il est de permettre de gagner du temps : la pêche au thon rouge sera interdite certes, au grand dam de ceux qui en vivent (et qui ne sont pas illégitimes à stigmatiser l’improvisation de l’interdiction et l’imprévision des mesures économiques d’accompagnement), mais elle ne prendra effet que dans dix-huit mois, au désespoir des défenseurs de l’environnement qui sont convaincus qu’il sera alors trop tard pour préserver l’espèce.
Qui croire ? En tout cas, si c’est avec ce genre de compromis que l’on prétend faire le droit de l’environnement de demain, il y a, comme on dit volontiers du côté du pays du soleil levant où l’on est si friand de ce poisson à chair grasse, bien du sushi à se faire !
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