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Les tribunaux correctionnels pour mineurs
La nouvelle garde des Sceaux, Christiane Taubira, a annoncé la suppression des Tribunaux correctionnels pour mineurs. L’opposition a immédiatement dénoncé le retour aux affaires de l’angélisme et du laxisme. Mais qu’est-ce donc que ces tribunaux correctionnels pour mineurs ?
Ils ont été créés par la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. Ils ont peu retenu l’attention du public, le débat relatif à la loi du 10 août 2011 s’étant surtout focalisé sur l’intégration d’assesseurs citoyens dans les tribunaux correctionnels. Toujours est-il que ces deux mesures participaient de la même philosophie, à savoir une certaine défiance, voire une défiance certaine, vis-à-vis des magistrats. Au cours du dernier quinquennat, les magistrats, sur lesquels pèse le soupçon d’incompétence depuis l’affaire « d’Outreau », se sont vus reprocher leur laxisme. D’aucuns pourraient ainsi affirmer que la quasi-totalité des réformes en matière pénale de ces dernières années a eu pour objet de limiter la marge de manœuvre des juges, en témoignent les peines planchers pour les récidivistes, et de les placer sous la surveillance du bon sens populaire, évidemment infaillible.
Que n’a-t-on procédé ainsi pour juguler le déficit de l’assurance maladie ? Il aurait suffi, si l’on suit cette « logique », de faire élaborer les traitements médicaux par un collège de trois personnes composé, outre d’un « médecin de carrière », de deux citoyens tirés au sort sur les listes électorales. On imagine le soulagement du patient apprenant que son traitement a été mis au point par un médecin assisté d’un chef d’entreprise et d’un boulanger… Il est vrai qu’il s’est également développé, dans la période contemporaine, une mystique selon laquelle la pratique du droit ne nécessiterait aucune compétence technique… On peut citer, pour vérifier cette thèse, le recrutement direct dans la magistrature créé sous le gouvernement Jospin, d’ailleurs vertement critiqué par le dernier rapport sur le concours dit « complémentaire », ou encore la passerelle entre le monde politique et la profession d’avocat qui a fait l’objet d’un précédent « Billet ». Les étudiants en droit doivent être ravis de savoir que la méthode qu’ils apprennent et les connaissances qu’ils acquièrent, année après année, n’a que peu d’importance pour exercer les métiers du droit ! Passons…
Reste que si tous les magistrats sont présumés laxistes, les pires étaient, aux yeux de l’ancien gouvernement, les juges des enfants. Pour endiguer ce laxisme, il avait donc été décidé que les tribunaux pour enfants, présidés par un juge des enfants et composés en outre de deux assesseurs citoyens choisis pour l’intérêt qu’ils portent aux problèmes de la jeunesse, ne pourraient plus juger les mineurs de 16 à 18 ans ayant commis des délits en état de récidive légale. Les affaires en question étant sérieuses, c’est une nouvelle juridiction, appelée tribunal correctionnel pour mineurs, qui est devenue compétente. Le but était que le laxisme supposé du juge des enfants, auquel a été confiée la présidence de cette nouvelle juridiction, soit compensé par la présence de deux magistrats professionnels non spécialisés à ses côtés. Quant à la propre propension au laxisme des magistrats professionnels non spécialisés, elle aurait, in fine, était jugulée par l’introduction des assesseurs citoyens, initialement prévue pour 2014, après une première phase d’expérimentation. CQFD.
Au-delà des effets d’annonce, c’est donc bien le manque de sévérité imputé aux tribunaux pour enfants qui était visé par la loi de 2011 puisque le tribunal correctionnel pour mineurs ne s’est pas vu doter de nouveaux pouvoirs. Autrement dit, les peines susceptibles d’être prononcées par le tribunal correctionnel pour mineurs pouvaient déjà l’être par le tribunal pour enfants. Les acteurs ont donc été changés, mais la pièce reste la même. Or, la disparition d’assesseurs citoyens spécialisés, choisis en fonction de leurs compétences, et non tirés au sort, ainsi que la présence de magistrats non spécialisés au côté du juge des enfants, remettaient en cause le principe du traitement différencié des mineurs. Certes, l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs n’est pas gravée dans le marbre, et l’ancienne majorité pouvait tout à fait remettre en cause le principe qu’elle avait fixé. Toutefois, peut-être aurait-il fallu d’abord vérifier que ces nouvelles juridictions répondaient à un réel besoin, au moins quantitatif. Or, le bilan, après les quelques mois de fonctionnement de ces tribunaux correctionnels pour mineurs, est assez maigre, comme le dénoncent certains magistrats, comme Mme Bartolomei, juge des enfants de son état. C’est dire que l’on a créé une nouvelle juridiction, mobilisant ainsi le temps de magistrats et de greffiers, sans vérifier au préalable que, passé le symbole de la soumission des mineurs récidivistes à une justice prétendument plus sévère, il existait un réel intérêt pratique…
Il n’en reste pas moins que le gouvernement actuel ne pourra pas se contenter d’avoir pour politique de défaire ce qui a été fait. Le retour au statu quo ante n’est pas une politique, et il n’est certainement pas suffisant pour espérer une amélioration significative du fonctionnement de la justice.
Références
■ Loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
■ « Le très difficile recrutement direct des magistrats », Le Figaro 21 mai 2012 .
■ M. Mekki, « Homme politique et avocat : quand l’homme de la loi se prend pour un homme de loi », Dalloz Actu Étudiant, « le Billet », 10 avril 2012.
■ Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
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