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Le billet
Les universités françaises ont-elles lâché l’affaire en Afrique ?
Alors que la Russie fait venir en masse des étudiants et enseignants africains sur son territoire, souvent tous frais payés, que la Turquie ouvre ses amphithéâtres aux étudiants africains, que la Chine sème sur tout le continent ses instituts Confucius et désormais ses écoles de leadership où les cadres du PC chinois forment les futures élites locales (v. Le Monde, 5 sept. 2024), où en est la coopération entre les universités françaises et africaines ?
On se gardera de généraliser. En sciences exactes, en technologie, la coopération semble fonctionner, avec nombre de formations délocalisées ou en co-diplomation, et bien des projets financés par l’Union européenne. En sciences humaines et sociales en revanche, la coopération marque le pas. Bien des colloques et des rencontres se tiennent ici et là, des ouvrages collectifs se rédigent, des « Mémorandums of Understanding » (MoU) sont signés en veux-tu en voilà, mais ces projets sont rarement structurants, au contraire de montages de recherches ou de formations communes, qui restent rares.
Les explications semblent provenir des deux côtés de la Méditerranée.
En France, les sciences humaines et sociales ont toujours obtenu une part résiduelle des crédits dédiés aux universités, avec un sous-encadrement chronique face aux sureffectifs d’étudiants. Ce ne sont pas les syndicats étudiants qui nous contrediront. Dans ces conditions, ce ne sont pas seulement les relations avec les universités africaines qui en pâtissent, mais l’ensemble des relations entre les universités françaises et étrangères, au prix d’un appauvrissement intellectuel : toujours moins de professeurs invités, toujours moins de collègues étrangers dans les jurys de thèse, des obstacles administratifs pour faire venir des doctorants, des autorisations de missions en Afrique refusées car coûteuses et parce qu’une bonne partie du continent est classé rouge ou orange par notre ministère des Affaires étrangères sur le site www.diplomatie.gouv.fr, etc. Par ailleurs, nos conseillers culturels sur place sont toujours moins nombreux, nos instituts français voient leurs crédits se réduire, et de fait l’université peine à trouver des relais sur place. À cela s’ajoute une bureaucratie qui fait de la création de formations communes des parcours du combattant pouvant s’étaler sur plusieurs années.
Face à toutes ces contraintes, nos universités privilégient les destinations jugées plus stratégiques voire plus dignes d’intérêt, ignorant - parfois avec arrogance - le bouillonnement intellectuel qui caractérise les universités africaines. Un colloque en droit avec des collègues africains n’est pourtant pas de moins bon niveau qu’un colloque franco-français. La liberté de parole et l’émulation intellectuelle sont très surprenantes dans bien des universités africaines, alors même que la plupart des régimes du continent sont des dictatures : on peut faire taire un universitaire russe ou chinois ou français (sous Vichy), mais on ne fait pas taire un universitaire africain. C’est cette richesse que nous méconnaissons voire mésestimons.
Il existe pourtant une réelle appétence de la jeunesse africaine pour les études en France et plus généralement en Europe. Les enseignants-chercheurs africains en sciences humaines et sociales pourraient beaucoup nous apporter dans des domaines que nous avons délaissés et où la recherche française s’est sclérosée. Mais l’Université française reste aux abonnés absents.
Et comme la nature a horreur du vide, ce sont d’autres universités qui prennent la place. L’attirance pour les États-Unis ou le Canada devient telle que c’est aussi le français comme langue officielle ou comme seconde langue qui perd du terrain. Là où la présence française recule, d’autres cultures la supplantent sans états d’âme.
Qu’on ne se méprenne pas. Ce n’est pas une nostalgie de l’empire qui inspire ces lignes, ni la défense d’un « soft power » français auquel nos gouvernants ne semblent plus attacher d’importance. Il faut plutôt y déceler la sensation d’un enfermement progressif, d’un repli subi dans la consanguinité, que l’Université française paie déjà en termes d’attractivité et de qualité de ses formations. L’Université africaine, elle, ne perd rien : elle a déjà trouvé d’autres débouchés.
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