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[ 27 septembre 2010 ] Imprimer

Les usages politiques du droit (suite) : l'infortunée Europe

L'actualité de ce mois de septembre est riche de confrontations entre la France et un certain nombre d'institutions européennes. L'analyse approfondie de celles-ci ne peut trouver sa place dans ce court billet, mais nul doute que les revues Dalloz y consacreront rapidement d'amples développements.

Est en revanche plus en phase avec la tonalité et la nature de ces lignes, de s'intéresser à la manière dont les hommes politiques s'emparent des concepts juridiques européens pour tenter de les insérer dans un discours de justification d'une action politique.

Un premier exemple peut en être donné au travers de la déclaration du secrétaire d'État aux Affaires européennes, Pierre Lellouche qui déclarait il y a quelques jours : « Le gardien des traités c'est le peuple français ». Cette assertion, en soi, est fausse, et même radicalement fausse. Ce sont les institutions européennes, au premier rang des quelles la Commission et la Cour, qui ont vocation à assurer le respect du Traité. Mais, contrairement à ce qu'ont pu croire, ou dire, certains commentateurs, cette assertion n'est pas le produit d'une erreur ou de l'inculture de notre ministre. Car cette assertion ne s'adresse pas au droit positif, elle s'adresse à l'imaginaire juridique diffus de l'opinion publique : substituer le peuple français aux institutions européennes, c'est créer une image du « peuple gardien », valorisante et au fond très classique dans les institutions de type fédéral, où le local est souvent convoqué pour dénoncer l'éloignement et/ou l'incompétence du fédéral.

Et il faudrait méditer sur cet usage politique du droit : il ne s'agit pas d'erreurs juridiques, mais bel et bien de tentatives de fabrications de nouvelles manières de voir le droit. De nombreuses tentatives de cette nature sont vouées à l'échec, rebutées dans les oubliettes du discours politiques à consomption rapide. Mais d'autres peuvent avoir plus de succès. Songeons par exemple à ce « devoir d'ingérence humanitaire », non-sens juridique dans les années 1980, et qui gagna progressivement non seulement une légitimité, mais même certaines formes de reconnaissances juridiques.

En ira-t-il de même des propos de notre ministre ? En l'état rien n'est moins sûr, mais si cette thématique est reprise, amplifiée par d'autres acteurs, il est possible qu'elle cristallise une forme de contestation de l'intégration européenne et connaisse un certain succès.

Second exemple, celui-là est d'apparence plus trivial, et a été infiniment moins remarqué. Le secrétaire général de l'UMP, Xavier Bertrand, invité d'une émission de télévision évoqua, au lieu de « directives européennes », des « circulaires européennes ». Ici, l'effet de lapsus, ajouté à une compréhension lointaine de la normativité communautaire expliquent sans doute l'emploi de ce vocable mal approprié. Mais enfin, l'usage du terme de « circulaire », plutôt que de celui de « décret » ou de « loi » ou d’ « ordonnance », ou toute autre terminologie issue de notre boîte à outils nationale, est très intéressant. Cela montre en effet que dans l'imaginaire de l'ancien ministre, le droit de l'Union européenne par la voie des directives, agit comme une « norme molle » et non comme du « vrai droit ».

S'agit-il d'une manière de dévaluer le droit de l'Union européenne existant, ou d'accréditer cette idée pour dire ce que devrait être le droit de l'Union européenne ? Rien ne permet de le dire, mais il reste ce constat d'une dévaluation du droit de l'Union européenne par l'emploi d'un mot inapproprié qui témoigne là encore d'une mise à distance de l'Europe, voire même d'une « dénormativisation » de l'Europe. Car au fond c'est bien de cela dont il s'agit : mal nommer est une technique classique de dévalorisation. Mal nommer l'Europe, c'est donc une manière de la nier.

On le voit, nous sommes bien loin de simples « erreurs », commises par les hommes politiques, mais nous sommes au contraire au cœur du jeu politique lui-même pour qui le « mal nommer » est une arme rhétorique bien connue.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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