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Le billet
Les valeurs du notariat français à l’épreuve de « Bercy » : peut-on accroître le pouvoir d’achat à n’importe quel prix ?
La publication du rapport établi en 2013 et les propositions de l’avant-projet de réforme réalisé en août 2014 par l’Inspection générale des finances (IGF) à propos des professions réglementées obligent l’auteur de ces lignes à exposer quelques critiques, après notre ami et collègue Mathias Latina. Parmi les réflexions et propositions de l’IGF une attention particulière doit être portée sur la profession du notariat dont les membres ont été qualifiés, de manière à peine voilée, de « rentiers », de « nantis » ou de « privilégiés » !
La mission de l’IGF consistait à analyser 37 professions et activités réglementées. La réforme de ces professions devrait permettre d’augmenter le pouvoir d’achat des ménages. Concernant le notariat, l’IGF propose un certain nombre de mesures qui mettraient purement et simplement fin au notariat à la française, modèle parmi les notariats européens. Pire ! Le sacrifice de cette profession sur l’autel d’une analyse économique plus que douteuse entraînerait, ce que le rapport et l’avant-projet se cachent bien de préciser, la condamnation du système juridique de tradition romano-germanique fondé sur le principe de sécurité juridique. L’IGF prépare de cette manière un glissement insidieux vers un système libéral de common law fondé sur l’efficacité économique.
Il n’y a dans ces quelques lignes aucune entreprise partisane, les notaires sauront eux-mêmes se faire entendre en usant de leur propre répertoire d’actions (v. la réponse de la Chambre des notaires de Paris et du CSN). Le seul objectif est ici de rectifier le message adressé par l’IGF, récupéré par Arnaud de Montebourg et relayé par les médias sur le notariat.
Tout d’abord, la réforme du notariat proposée par l’IGF ne repose sur aucune concertation préalable. Pourtant, l’expertise des notaires et de leur instances représentatives auraient permis d’éclairer ces « experts de Bercy » sur la réalité du terrain et sur les subtils contours de la profession.
Ensuite, l’IGF fait de l’analyse économique une fin en soi. Cette critique n’est pas sans rappeler celle qui avait été adressée aux différents rapports Doing business réalisés par la Banque mondiale. L’analyse économique est une source d’information pour les pôles de décision. Elle propose et notre législateur dispose. Le législateur ne doit pas devenir une simple chambre d’enregistrement de calculs économétriques peu fiables et dont les conclusions peuvent être réversibles.
En se laissant séduire par cette idéologie de l’analyse économique, l’IGF s’est livrée à une étude doublement erronée de la situation économique du notariat. D’une part, elle se limite à l’étude du marché de la vente immobilière, en négligeant la diversité des activités du notariat beaucoup moins rentables. D’autre part, elle se focalise sur l’analyse économique des valeurs marchandes mais néglige d’évaluer économiquement les valeurs non marchandes, valeurs intrinsèques du notariat : accessibilité et intelligibilité du droit, lutte contre le blanchiment d’argent, perception des impôts, prévention contre la faillite des copropriétés, effectivité des dispositifs de droit pénal… Le notariat a une valeur qui ne se réduit pas au prix de l’immobilier. La problématique de l’accès au droit, auquel le notariat contribue, n’a aucun lien avec celle du pouvoir d’achat !
En outre, il paraît très étonnant d’envisager la réforme du notariat en même temps que les autres professions réglementées. Le notariat est un corps de l’État avant d’être une entreprise, un officier public avant d’être une profession libérale. L’identité du notariat réside dans son statut, officier public délégataire de la puissance publique, dont l’aboutissement est la réalisation d’un acte authentique conférant une pleine sécurité juridique aux actes ainsi instrumentés. Il faut arrêter d’étendre les tentacules de l’idéologie du marché. Toute activité juridique n’est pas une prestation économique. Le droit n’est pas un produit substituable dont on pourrait distribuer les parts de marché entre les différents agents économiques. Le notariat a une mission qu’il remplit au service de l’État et au profit des citoyens. Il est une interface, une cheville entre l’intérêt public et les intérêts privés. Face à un État qui se désengage, il est cet agent relais qui crée et maintient le lien social composé d’un ensemble de liens juridiques dont il garantit la pérennité dans le temps. Réduire le service du notariat à une prestation de services dont il faudrait réduire le prix est une vision synoptique réductrice et dangereuse. Si tout devait être réduit à un prix et si l’efficacité économique devait être l’alpha et l’oméga de toute réforme il faudrait admettre la fin du système de civil law et se soumettre aux impératifs des systèmes de common law.
Le rapport et l’avant-projet contiennent, enfin, de nombreuses approximations et des propositions peu opportunes.
Les approximations concernent, notamment, le statut même du notaire, officier public qui dresse, vérifie et conserve les actes juridiques, qui est maladroitement assimilé au simple public notary de common law, un simple guichet d’enregistrement chargé de vérifier la seule identité des parties.
Parmi les nombreuses propositions destinées à « ouvrir » cette profession, la plus désastreuse réside dans l’ouverture du « monopole notarié d’établissement de divers actes de droit patrimonial de la famille ». Plus besoin d’un acte authentique, un futur acte d’avocat « tiers certificateur » ou l’actuel acte contresigné par avocat (L. n° 2011-331 du 28 mars 2011) suffirait. Seraient concernés les donations entre vifs (C. civ., art. 931), les donations-partages (C. civ., 1075) et les actes de notoriété pour établir la qualité d’héritier (C. civ., art. 730-1). Ce tiers certificateur « devra justifier utiliser une technologie garantissant avec le plus haut niveau de certitude l’identité des personnes ». Selon l’IGF, ces actes recouvrent une force probatoire suffisante pour sécuriser les opérations ainsi réalisées. L’argument peine à convaincre. La force de l’acte authentique est d’ordre statutaire : intervention d’un officier public, véritable tiers impartial et désintéressé, interface de l’État, qui par nature évite et résorbe les conflits. Réduire les actes de la famille à la seule vérification de l’identité des personnes est méconnaître la complexité des relations familiales.
L’argumentaire de l’IGF est encore moins convaincant lorsqu’elle rappelle dans son avant-projet qu’il ne s’agit pas de supprimer l’acte authentique mais de le rendre optionnel. Or, la sécurité juridique ne se choisit pas au nom d’intérêts particuliers, elle se décrète au nom de l’intérêt général. Laisser en aval aux destinataires le choix de l’acte, c’est encourager nécessairement un droit à deux vitesses source d’inégalités. Les plus fortunés bénéficieront d’une meilleure sécurité !
Si une réforme du notariat s’impose pour s’adapter à une nouvelle réalité économique et sociale, elle doit se faire dans le dialogue et la concertation. L’équation notariale sur la base de laquelle la négociation devrait avoir lieu pourrait être la suivante : des officiers publics, agents relais de l’État, au service du public, usant de l’acte authentique, gage de sécurité juridique, contribuant à la stabilité des liens juridiques et partant à l’efficacité du système économique. Gageons que les lumières de l’analyse économique et de l’économétrie n’aveuglent pas trop longtemps nos chers parlementaires !
Référence
■ Code civil
« La preuve de la qualité d'héritier peut résulter d'un acte de notoriété dressé par un notaire, à la demande d'un ou plusieurs ayants droit.
L'acte de notoriété doit viser l'acte de décès de la personne dont la succession est ouverte et faire mention des pièces justificatives qui ont pu être produites, tels les actes de l'état civil et, éventuellement, les documents qui concernent l'existence de libéralités à cause de mort pouvant avoir une incidence sur la dévolution successorale.
Il contient l'affirmation, signée du ou des ayants droit auteurs de la demande, qu'ils ont vocation, seuls ou avec d'autres qu'ils désignent, à recueillir tout ou partie de la succession du défunt.
Toute personne dont les dires paraîtraient utiles peut être appelée à l'acte.
Il est fait mention de l'existence de l'acte de notoriété en marge de l'acte de décès. »
« Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité. »
« Toute personne peut faire, entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits.
Cet acte peut se faire sous forme de donation-partage ou de testament-partage. Il est soumis aux formalités, conditions et règles prescrites pour les donations entre vifs dans le premier cas et pour les testaments dans le second. »
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