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Les victimes d'attentats terroristes au travail sont-ils des accidentés du travail ?
L'éprouvante actualité que nous avons vécue nous incite à poser une question essentielle pour les victimes des actes terroristes perpétrés dans le cadre de relations de travail : les lourds préjudices subis par les victimes et leurs ayants droit (dommages corporels et psychologiques) pourront-ils être indemnisés et qui en sera le débiteur ? La perspective d'une telle réflexion est, à l'évidence, à l'opposé des joyeuses impertinences des caricaturistes, journalistes ou essayistes disparus. Le rôle du droit est cependant essentiel pour marquer la reconnaissance de la société à l'égard des victimes de tels actes et pour permettre la réparation des préjudices.
La prise en charge des préjudices des différentes victimes des récents attentats est particulièrement complexe, en raison de la diversité des régimes applicables et de la multiplicité des statuts des victimes : salariés, journalistes (sans doute salariés en application de la présomption de salariat de l'article L. 7112-1 C. trav.), chef d'entreprise, fonctionnaire de police nationale municipale, simples clients... La solidarité nationale à l'égard des victimes s'est manifestée depuis la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 par la création d'un fonds de garantie spécifique, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGVTI), qui permet aux victimes et à leurs ayants droit de bénéficier, selon une procédure simplifiée, d'une réparation intégrale des dommages (C. assur., art. L. 422-1 s.), financée par une contribution spécifique sur les contrats d'assurance.
A priori un tel régime, spécial aux victimes d'infractions et de terrorisme, devrait être exclusif des autres régimes de réparation. Des complications pourraient cependant apparaître en raison de la particularité du régime de réparation des accidents du travail et de l'obligation de sécurité de résultat inhérente au contrat de travail. Le Code de la sécurité sociale prévoit, en effet, l'exclusion de toute action en réparation des accidents du travail « conformément au droit commun » (Art. L. 451-1). Cette disposition avait justifié, un temps, une exclusion de l'application des règles propres à l’indemnisation des victimes d’infractions (Civ. 2e, 7 mai 2003), avant que la Cour de cassation ne nuance sa position, admettant que ce régime pouvait s'appliquer en cas d'accident du travail « imputable à la faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés » (Civ. 2e, 7 mai 2009).
En toute logique, le dommage résultant de la faute d'un tiers, ouvrant, comme la faute intentionnelle, la possibilité de demander réparation « conformément au droit commun » justifierait la même application des règles propres aux victimes d'infraction. Il serait souhaitable donc que la Cour de cassation corrige sa jurisprudence sur la prise en charge des accidentés du travail victimes d'actes de terrorisme en leur ouvrant le plus largement possible le droit de réclamer réparation devant le fonds de garantie afin de permettre une réparation intégrale et rapide de leurs préjudices. Il est probable que le fonds d'indemnisation anticipera une telle solution en acceptant de faire droit aux demandes d'indemnisation, ouvrant ainsi aux victimes le choix du régime d'indemnisation.
Cette option laissée aux victimes laissera néanmoins ouverte la question de la qualification d'accident du travail pour les dommages subis par les victimes au travail d'actes de terrorisme. Les enjeux peuvent être variés, qu'on songe aux éventuelles actions récursoires engagées par le fonds d'indemnisation contre les responsables du dommage (C. assur., Art. L. 422-1) ou au bénéfice de réparations propres aux accidents du travail prévus dans des polices d'assurance ou des régimes de prévoyance complémentaire.
La qualification d' « accident du travail » pourrait surprendre, s'agissant d'un acte de terrorisme : il paraît complètement extérieur au travail et présente toutes les caractéristiques de la force majeure. Ce serait oublier que l'accident du travail est défini de manière très large, incluant tous les faits survenus « par le fait ou à l'occasion du travail ». Toutes sortes d'infractions peuvent en conséquence recevoir la qualification d'accident du travail (homicide, coups et blessures, viol, harcèlement, etc.).
La jurisprudence pose à ce titre une présomption : est présumé accident du travail tout accident subi au lieu et au temps de travail, sauf à prouver que l'événement a une cause totalement étrangère au travail. En conséquence, la Cour de cassation admet la qualification d'accident du travail lorsque le salarié est assassiné pour un mobile passionnel par l'un de ses collègues, la victime ne s'étant pas soustraite à l'autorité de l'employeur (Soc. 10 juin 1987). À l’inverse, le salarié assassiné sur son lieu de travail en raison de son appartenance à une organisation nationaliste corse, n'est pas victime d'un accident du travail, dès lors que la mort est imputable à la seule activité politique du salarié et que les conditions de travail n'ont joué aucun rôle dans ce décès (Soc. 1er juill. 1999). L'attentat subi le 9 janvier 2015 au supermarché Hypercasher de Vincennes appelle un raisonnement comparable : l'attentat doit être vu comme étranger à l'activité proprement dite.
L'attentat contre Charlie Hebdo est de nature à susciter bien davantage de débats. Les menaces récurrentes subies par le journal et ses journalistes, un précédent attentat subi en 2011, la mise en place des mesures de sécurité policière, attestent que le journal était soumis, de par son activité même, à un niveau de risque important. Pourra-t-on, en conséquence, estimer que l'exposition particulière au risque de terrorisme de cette entreprise de presse justifie la qualification d'accident du travail ? La réponse n'est pas certaine, mais elle est dans la logique du droit français qui, depuis la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, a justifié une responsabilité spécifique des entreprises pour les accidents consécutifs aux risques qu'elles génèrent. Celles qui emportent des risques pour la sécurité de leurs salariés (banques, convoyeurs de fonds, entreprises de sécurité) sont ainsi responsabilisées lorsque leurs salariés sont victimes d'infractions et doivent prendre les mesures de prévention qui s'imposent.
La qualification d'accident du travail n'étant pas à exclure, il restera à en tirer les conséquences exactes. Elle emportera sans doute le bénéfice d'avantages favorables aux victimes, en leur permettant de percevoir des prestations qui vont au-delà de la réparation octroyée par le fonds (on songe, notamment, au versement de capital décès, ou de rentes éducation pour les enfants des victimes).
La responsabilité imputable à l'employeur est plus délicate à déterminer. La survenance d'accidents du travail emporte, en principe, l'augmentation des cotisations sociales, mais les petites entreprises ne sont pas concernées. La recherche d'une faute inexcusable de l'employeur pourrait également être envisagée, afin de déterminer si des mesures de prévention suffisantes ont été prises à l'égard des salariés. Le débat est ici compliqué car la protection de la sécurité incombait à l'employeur autant qu'à la puissance publique au titre de la protection du droit à la sûreté.
On l'aura compris, la prise en charge des victimes d'attentats terroristes au travail, de par la lourdeur des enjeux et l'incertitude des règles applicables, est de nature à susciter davantage de questions qu'elle ne connaît de réponses juridiques claires. Ne faut-il pas s'attaquer aujourd'hui à la détermination de règles moins équivoques afin de marquer plus nettement la solidarité de la collectivité à l'égard des salariés victimes d'actes de terroristes et des entreprises qui les emploient ?
Références
■ Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme : http://www.fondsdegarantie.fr/actes-de-terrorisme
■ Civ. 2e, 7 mai 2003, n°01-00.815.
■ Civ. 2e, 7 mai 2009, n°08-15.738, RDSS 2009. 723, note Vignon-Barrault.
■ Soc. 10 juin 1987, n° 85-16.868.
■ Soc. 1er juill. 1999, n°97-18.990.
■ Code du travail
« Toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties. »
■ Article L. 422-1 du Code des assurances
« Pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
Ce fonds, doté de la personnalité civile, est alimenté par un prélèvement sur les contrats d'assurance de biens dans les conditions suivantes.
Ce prélèvement est assis sur les primes ou cotisations des contrats d'assurance de biens qui garantissent les biens situés sur le territoire national et relevant des branches 3 à 9 de l'article R. 321-1, dans sa rédaction en vigueur à la date de publication de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, et souscrits auprès d'une entreprise mentionnée à l'article L. 310-2.
Le montant de la contribution, compris entre 0 € et 6,50 €, est fixé par arrêté du ministre chargé des assurances.
Cette contribution est perçue par les entreprises d'assurance suivant les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions que la taxe sur les conventions d'assurance prévue à l'article 991 du code général des impôts. Elle est recouvrée mensuellement par le fonds de garantie.
Il est subrogé dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage.
Le fonds est également alimenté par des versements prévus au II de l'article 728-1 du code de procédure pénale. Lorsque ces versements sont effectués, la victime est alors directement indemnisée par le fonds à hauteur, le cas échéant, des versements effectués et, à hauteur de ces versements, l'avant-dernier alinéa du présent article n'est pas applicable. »
■ Article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale
« Sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-5, L. 454-1, L. 455-1, L. 455-1-1 et L. 455-2 aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit. »
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