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Le billet
L’étrange rentrée sociale 2024
Traditionnellement, le mois de septembre n’est pas uniquement celui de la rentrée des écoliers. À l’occasion du retour des congés d’été, les différents acteurs du monde social (Parlement, gouvernement, syndicats, entreprises) ont l’habitude de faire le point sur l’année à venir : état d’avancement des réformes engagées, lancement de nouveaux projets, mesure de l’état d’esprit des acteurs économiques et des acteurs sociaux, etc. On a pris l’habitude en France de désigner de façon un peu vague ce moment comme « la rentrée sociale », comme si les questions sociales pouvaient se mettre en congé le temps d’un été.
Le mois de septembre 2024 sera plutôt l’occasion de dresser un constat de la singularité de la situation. La dissolution ratée, l’absence de majorité à l’Assemblée puis la longueur historiquement inédite du délai de désignation d’un Premier ministre aboutissent à une situation jamais vue : une rentrée sociale sans gouvernement, les ministres en place n’étant chargés que de l’expédition des affaires courantes, et un Parlement dans lequel aucune majorité claire n’émerge. Il est donc particulièrement difficile de préparer les deux textes essentiels qui occupent chaque année le Parlement à partir d’octobre : la loi de finances et la loi de financement de la Sécurité sociale, qui doivent toutes les deux être votées avant le 31 décembre. Même si les commissions ont été constituées, l’absence de gouvernement et de projet clair pour l’année à venir rend l’élaboration des textes particulièrement délicate. La crainte est que les parlementaires n’aient guère le temps de s’approprier ces textes ardus, qui ne pourront faire l’objet que de discussions succinctes pour pouvoir les boucler à temps.
Pourtant des choix importants sont à faire dès cette rentrée. Le Premier ministre démissionnaire a rappelé l’importance de la contrainte européenne pesant sur ces budgets. La France bat à nouveau des records sur ses déficits publics et doit opérer des choix pour ne pas aggraver la situation. M. Attal a, à l’occasion de la lettre de cadrage envoyée à chaque ministère à l’occasion de la préparation de la loi de finances, proposé une réduction de 11 % du budget du travail, ce qui augurerait de coupes des dépenses consacrées au fonctionnement de l’assurance chômage (avec une possible suppression de l’allocation spécifique de solidarité) ou de la formation professionnelle. Le choix des arbitrages ne saurait pourtant revenir à un gouvernement chargé de la seule gestion des affaires courantes, issu d’une majorité défaite aux élections. Côté loi de financement de la Sécurité sociale, la contrainte de la dette ne laissera que peu de marge. La Cour des comptes avait souligné en mai dernier la « perte de la maîtrise des comptes sociaux », avec l’accroissement mal maîtrisé de certaines dépenses et le manque de recettes provenant de politiques persistantes d’exonération des charges sociales. La situation n’est en réalité pas désespérée, car l’essentiel du déficit généré par la crise du covid a été absorbé. Mais des choix essentiels sont à faire pour maîtriser les financements. Faute de choix, comment dégager des marges d’action pour affronter le défi auquel nous devons faire face : la dégradation de la situation de l’hôpital et les trop nombreux obstacles dressés à l’accès aux soins ?
Année après année, le constat se renouvelle de la difficulté de trouver des moyens pour mieux maîtriser l’effroyable complexité de notre système de protection sociale. Le droit de regard conféré au Parlement à travers le vote des lois de la Sécurité sociale cantonne les débats sur des questions éparses, sans permettre que soient posés les termes d’un débat démocratique qui engage l’ensemble de la société française à faire des choix structurels sur l’évolution de la protection sociale. Il est à craindre que la nomination dans l’urgence d’un gouvernement détenteur d’une maigre majorité à l’Assemblée nationale ne permette que de voter dans l’urgence les budgets de l’État et de la Sécurité sociale, sans opérer de véritable choix permettant de redonner une maîtrise au Parlement sur ces questions.
Mais ce n’est pas tout, après le vote des lois budgétaires, le Parlement devra aussi s’attaquer à des questions pour l’instant objet de toutes les divisions : devenir de la réforme des retraites, amélioration du pouvoir d’achat et revalorisation des salaires minima, lutte contre la pauvreté et les inégalités qui se sont accrues, etc. On ne voit pas pour l’heure quelles coalitions gouvernementales pourraient se former pour trouver un consensus sur ces questions.
Les enjeux du travail et de la protection sociale ont été au cœur des élections législatives de 2024, mais ils ne pourront pas véritablement trouver d’issue dans la configuration parlementaire actuelle, ce qui ne peut que renforcer la crise politique que nous traversons.
Paradoxalement, cette situation de blocage politique pourrait redonner aux partenaires sociaux quelque peu de vigueur : l’absence d’initiative au niveau législatif appellerait de renforcer les négociations salariales au niveau des branches et des entreprises, la dégradation possible de la politique de santé et des régimes légaux de sécurité sociale ne pourra qu’accroître le champ laissé aux assurances complémentaires dans le champ de la vieillesse et de la retraite. Déjà, le Medef semble vouloir reprendre la main sur les politiques de l’emploi en annonçant son souhait de reprendre la négociation collective sur l’emploi, qui avait abouti à un constat d’échec en avril dernier.
Le souci est que, dans notre pays, les partenaires sociaux, au niveau national interprofessionnel ont toujours peiné à s’affranchir de la tutelle étatique, et qu’il sera difficile de trouver les points d’équilibre pour les futures négociations sans imaginer la pression de l’État pour faire aboutir les négociations ou garantir le respect de l’intérêt général.
Bref, cette étrange rentrée sociale 2024 risque de refléter assez clairement ce qui nous attend pour l’année à venir : une situation d’attente alors que s’accumulent les sujets qui auraient besoin de réformes profondes. Espérons donc que cette alarmante situation favorise la recherche de compromis, aussi bien au niveau des politiques que des partenaires sociaux, faute de quoi cette situation finirait par déboucher sur une sérieuse crise politique et/ou sociale.
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