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Le billet
L’Europe, après une indigestion fiscale majeure, le temps des remèdes
Il est notamment question avec ce billet de tax rulings, du LuxLeaks mais également de sandwich hollandais et de double irlandais, et, plus précisément, de stratégies visant à réduire le montant des impôts payés, notamment l’impôt sur les sociétés dû par les firmes internationales à travers le Monde et en Europe en particulier.
Derrière ces appellations, les affaires Google, Apple, Starbuck… avec à chaque fois, des dispositifs d’optimisation fiscale et parfois des petits arrangements avec les États, en l’occurrence les États membres de l’Union européenne.
Dans un rapport sénatorial publié en juin 2012 (déjà…), le Président de la Commission des finances du Sénat, Philippe Marini, décrivait l’un de ces mécanismes d’optimisation utilisé par ces entreprises, le double irlandais couplé au sandwich hollandais (Google mais également Microsoft ou encore Facebook) – Rapport n° 614 du 27 juin 2012, Une feuille de route pour une fiscalité numérique neutre et équitable.
La mise en place de ce dispositif suppose pour une entreprise, de concéder ses brevets et marques à une société irlandaise basée aux Bermudes. Cette nouvelle société irlandaise verse à la première (américaine) une redevance en contrepartie de ces droits, une redevance d’un faible montant afin d’en limiter la charge fiscale aux États-Unis.
La société irlandaise implantée aux Bermudes dispose d’une filiale en Irlande qui rassemble les chiffres d’affaires réalisés en Europe mais également, et le cas échéant, au Moyen-Orient et en Afrique. Cette filiale paye également une redevance à la société mère implantée aux Bermudes, le paiement de cette redevance permet de renvoyer, à cette dernière, le bénéfice réalisé, faisant ainsi échapper ce chiffre d’affaires à l’impôt sur les bénéfices irlandais au motif que le centre de management effectif est implanté aux Bermudes.
Tandis que la filiale qui a payé la redevance à la société-mère peut la déduire de son impôt sur les bénéfices…
Pour compléter le dispositif, et comme si cela n’était pas suffisant, le droit irlandais est encore exploité en bénéficiant des règles aux termes desquelles les redevances liées à l’exploitation d’un droit de propriété sont totalement exemptées d’imposition si elles sont transférées à l’intérieur de l’Union européenne. C’est là qu’apparaît le sandwich hollandais : une société hollandaise est intercalée entre les deux sociétés irlandaises et la redevance transite ainsi par les Pays-Bas.
Dans son rapport, M. Marini avait ainsi constaté à propos de Google, que 99,8 % des bénéfices réalisés, étaient transférés aux Bermudes… où l’imposition sur les bénéfices n’existe pas.
Reste le rapatriement des fonds aux États-Unis qui donne, en principe, lieu à imposition à hauteur de 35 %, parfois moins, lorsque l’administration fiscale américaine décide de taux réduits afin d’inciter au retour de fonds placés à l’étranger (comme en 2005 avec une imposition fixée à 5 %).
Afin de mettre un terme à cette évasion fiscale, le Gouvernement irlandais a accepté (contraint et forcé) de faire évoluer sa législation et a fait le choix en 2013, d’identifier les entreprises basées en Irlande comme devant y détenir leur résidence fiscale. Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 2015.
Est-ce à dire que l’Irlande a décidé de ne plus recourir au dumping fiscal ? Que nenni… Faire le choix de l’Irlande représente encore pour ces grandes multinationales, un avantage fiscal indéniable. La condamnation par Bruxelles de la société Apple à une amende record de 13 milliards d’euros, en août 2016, en est l’illustration.
Ici encore, le droit irlandais est mis à contribution, alors que l’Irlande pratique l’un des taux les plus bas d’Europe en matière de sociétés. Une pratique que la Commission européenne a jugée illégale au regard des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État.
Margrethe Vestager, commissaire chargée de la politique de la concurrence a ainsi dénoncé le « traitement fiscal sélectif réservé à Apple » qui a permis à cette dernière « de se voir appliquer un taux d’imposition effectif sur les sociétés de 1 % sur ses bénéfices européens en 2003, taux qui a diminué jusqu’à 0,005 % en 2014 ». Apple a ainsi bénéficié d’une remise d’impôt « sur pratiquement l’intégralité des bénéfices générés par les ventes de produits Apple sur le marché unique de l’Union européenne » en enregistrant toutes ses ventes en Irlande plutôt que dans les pays où les produits étaient vendus. Une décision dont Apple et l’Irlande ont décidé de faire appel…
Une affaire délicate, alors que le Trésor américain et la Maison Blanche se sont étonnés que des pénalités rétroactives puissent ainsi être infligées à des sociétés américaines présentées, comme des cibles pour l’Union européenne et ce, sur la base d’une nouvelle interprétation large des aides d’État.
Apple a, en effet, rappelé que c’est dès 1980 que la firme à la pomme s’était implantée en Irlande sur la base d’une législation fiscale certes plus avantageuse qu’ailleurs en Europe, mais en toute légalité…
Dans le même temps, d’autres injonctions similaires ont été lancées contre Amazon ou encore McDonald’s. Tandis que d’autres firmes comme Starbucks et Fiat étaient déjà condamnées en octobre 2015, à rembourser la première aux Pays-Bas, la seconde au Luxembourg… Luxembourg ou le scandale du LuxLeaks… Ces accords fiscaux avantageux conclus avec le fisc luxembourgeois par des firmes internationales telles Apple, Amazon, Pepsi ou encore Ikea… Scandale révélé en 2014 suite aux investigations de l’International Consortium of Investigative Journalists… Et un scandale dans le scandale alors que le volet judiciaire de cette affaire implique les personnes ayant fait fuiter les documents ayant permis ces révélations…
Mais revenons à nos législations fiscales européennes… Une problématique insoluble en l’état actuel des dispositions européennes, alors qu’en matière fiscale, chaque pays membre de l’union européenne dispose d’un droit de veto. Un tel mécanisme permet dès lors aux pays concernés (Irlande, Luxembourg, Pays-Bas mais également Danemark et Autriche) de préserver leurs intérêts, qui indéniablement ne sont pas ceux de l’Europe.
Alors que tant est reproché à l’Europe, il faut concevoir que le système est quand même bien mal conçu… mettant ainsi en concurrence les États membre de l’Union européenne, les uns avec les autres…
En parallèle, l’OCDE a présenté un paquet de mesures visant à enrayer l’optimisation fiscale (oct. 2015). Le BEPS (Base Erosion and Profit Shifting - Erosion de la base imposable et transfert de bénéfices) vise à contrer de tels abus fiscaux alors que chaque année entre 100 et 240 milliards de dollars échappent, en toute légalité, à l’impôt sur les sociétés. Parmi ces propositions, certaines visent à éviter que les failles entre législations nationales puissent être exploitées par les multinationales, d’autres entendent faire coïncider le lieu où les multinationales enregistrent leurs bénéfices avec celui où elles créent véritablement de la valeur et visent également à s’assurer que les multinationales déclarent aux administrations fiscales de tous les pays au sein desquels elles réalisent une part de leur activité, le détail de cette dernière et les impôts qu’elles paient.
Dans le même sens, les États devront faire état des rulings conclu avec les entreprises implantées sur leur territoire, c’est-à-dire des régimes d’imposition préférentiels qu’ils leur accordent.
Une proposition entérinée lors du G20 d’octobre 2015, laissant trois ans aux États pour transposer dans leur législation ces différentes mesures (le délai de mise en œuvre pourra toutefois varier en fonction du niveau de développement des pays).
Dans ce cadre, chaque État devra notamment revoir son propre régime fiscal, identifier et supprimer les éléments qui présentent des risques d’érosion de la base fiscale d’imposition et de transfert de bénéfices.
De bonnes intentions ainsi affichées, incluant, selon les références fournies par l’OCDE sur son site internet, une centaine d’États, laissent songeur… les plus critiques y verront une simple déclaration qui n’empêchera rien… et les précédentes expériences pourraient le laisser croire…
Pourtant, de premières velléités font leur apparition. Ainsi, la Commission européenne a présenté un projet de directive Accis (Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés) visant à harmoniser les règles d’assiette de l’impôt sur les sociétés avec l’objectif de mettre un terme aux pratiques d’optimisation fiscale. Dans un second temps, l’objectif est également affiché de consolider cette assiette afin de répartir la base fiscale entre les États de l’Union européenne selon une clef de répartition économique. Des perspectives qui nécessiteront une adaptation du régime français d’imposition avec notamment les allègements fiscaux (comme le Crédit d’impôt recherche et le CICE) qu’il sera difficile de maintenir.
A terme, pour chaque groupe, leurs résultats imposables consolidés seront répartis entre chacune des sociétés, permettant à chaque État de soumettre les bénéfices des sociétés résidentes à son propre taux, rendant impossible les stratégies d’évitement de l’imposition.
Soit. Espérons que l’essai soit transformé. Il faut rappeler que le dispositif de la directive Accis est déjà ancien. Dès 2001, la Commission l’estimait nécessaire et en 2011, une proposition de directive avait déjà été présentée. Il s’agissait déjà de mettre en place un ensemble de règles communes de détermination de l’assiette imposable des sociétés avec prise en compte des lieux d’implantation. La proposition présentait toutefois ce régime comme optionnel, laissant le soin aux entreprises de choisir entre ce système harmonisé et le régime fiscal national… On comprend d’emblée les limites de cette proposition…
Quoiqu’il en soit, ces prémices n’ont guère rencontré de succès… Il faut espérer qu’avec les évênements de ces trois dernières années, le nouveau projet de directive Accis prenne un chemin plus favorable. A suivre donc…
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