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Le billet
L’Europe met la loi religieuse au pas
Comme l’avait fait, voici quelques mois, un tribunal allemand, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a pris fait et cause pour le droit de l’enfant à son intégrité physique contre la pratique religieuse de la circoncision rituelle. À une écrasante majorité (78 voix pour, 13 contre et 15 abstentions), l’Europe des droits de l’homme fait donc primer la liberté et la dignité de l’enfant sur la pratique religieuse de la circoncision et les droits de ses parents.
Comme la décision prise par les juges d’Outre-Rhin, la résolution européenne a provoqué un tollé au sein des autorités religieuses juives et musulmanes qui, au mieux, s’étranglent de rage face à cette atteinte inadmissible à la liberté religieuse et s’indignent que l’on puisse s’en prendre à un rite pratiqué depuis la nuit des temps, lequel présente, en outre, des vertus médicales, au pire dénoncent une stigmatisation des communautés qui pratiquent la circoncision.
Qu’on le veuille ou non, la circoncision constitue une atteinte à l’intégrité physique de l’enfant, de même qu’une infraction pénale! Elle emporte objectivement, en effet, sans qu’il puisse y avoir lieu à discussion, une violation du principe de l’inviolabilité du corps humain, qu’édicte l’article 16-3 du Code civil, et une « violence ayant entraîné une mutilation » au sens de l’article 222-9 du Code pénal. Ajoutons, et c’est en cela que la loi civile est violée, que l’atteinte à l’intégrité physique de l’enfant est réalisée sans nécessité thérapeutique, pouvant la justifier, et évidemment sans son consentement libre et éclairé. Autant dire qu’en prescrivant la circoncision, la loi religieuse est « hors la loi » civile et pénale.
Reste à savoir, et c’est évidemment toute la question, s’il est utile et juste de sanctionner cette pratique religieuse ancestrale qui revêt une importance symbolique fondamentale et qui n’emporte, somme toute, qu’une atteinte extrêmement bénigne à l’intégrité corporelle de l’enfant. D’ailleurs, l’État français tolère depuis des siècles cette expression de la liberté religieuse revendiquée pacifiquement par les juifs et les musulmans, sans qu’atteinte à la santé publique s’ensuive. Alors, pourquoi et au nom de quoi remettre en cause ce pacte tacite conclu entre l’État et la religion ? Pourquoi faire voler en éclat ce petit arrangement entre le temporel et le spirituel ?
La réponse à cette question se trouve dans la motivation de la décision allemande et dans la résolution européenne. Tout autant que son intégrité physique, dont nul ne contestera sérieusement qu’elle n’est guère affectée par l’atteinte bénigne qu’emporte la circoncision, c’est la liberté de l’enfant qui est placée au centre du débat : liberté de consentir à une telle atteinte et liberté religieuse. En somme, le centre de gravité de l’hostilité allemande et européenne à l’égard de la circoncision rituelle réside dans le fait qu’elle se traduit par un mépris de la liberté de l’enfant de décider de sa religion future, en ce sens qu’elle inscrit dans sa chair la plus intime son appartenance à la religion de ses ancêtres. Faux, réplique Rémy Libchaber, dans sa note sous la décision allemande, « car la circoncision ne marque aucun choix clair ou définitif : l’enfant restera libre de choisir sa foi comme la religion qu’il pratiquera, et la circoncision ne lui imposera rien en ce qu’elle peut procéder de causes diverses, confessionnelles comme médicales, voire esthétiques ». J’avoue avoir de sérieux doutes quant à cette liberté préservée…
Et puisqu’il faut bien prendre parti, on confessera que la solution qui permet de respecter l’intégrité corporelle de l’enfant et sa liberté religieuse en soumettant sa circoncision à son consentement libre, donc lucide, a notre préférence. Seraient ainsi conciliées les exigences objectivement contraires des lois civile et pénale, d’une part, et religieuse, d’autre part, et préservées l’intégrité et la liberté de l’enfant, qui s’en plaindra ?...
Références
■ Résolution du 1er oct. 2013 : http://www.assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-fr.asp?fileid=20174&lang=fr
■ R. Libchaber, « Circoncision, pluralisme et droits de l’homme », D. 2012. 2044.
« Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui.
Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. »
« Les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sont punies de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. »
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