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Libération de la parole contre liberté d’importuner : pourquoi tant de haine ?
À quelques jours d’intervalles, les réseaux sociaux se sont enflammés, d’abord, pour dénoncer les atteintes sexuelles commises depuis des lustres, en toute impunité, par des hommes, ensuite pour calomnier un manifeste rédigé par des femmes qui défendaient la liberté d’importuner.
La rébellion salutaire qu’a constituée la libération de la parole des femmes qui, pendant des siècles, ont subi, sans réagir, des outrages aux bonnes mœurs les plus élémentaires, a emporté son lot d’excès et de dérives : accusés, finalement innocents ; procès sans respect des droits de la défense ; verdict sans juge, etc… On peut le déplorer : la justice médiatique a de forts relents de vengeance privée, que toute société civilisée ne peut que bannir. Reste qu’il n’est pas de révolution sans sang et larme versés. Or, c’est bien une révolution culturelle qui se produit aujourd’hui, avec cette révolte des femmes qui décident de dénoncer leurs bourreaux, lesquels pensaient qu’on est nécessairement soumise parce qu’on est femme et qu’être femme, c’est nécessairement être l’objet de tous leurs désirs, qu’ils soient consentis ou contraints.
La réaction qu’a suscitée ce mouvement de libération et qui s’est traduite par un manifeste dédié à la liberté d’importuner, a été l’objet d’une violence manifestement disproportionnée. Propos haineux et réquisitoires staliniens ont déferlé sur les réseaux sociaux. Pourtant, si on lit le texte en question avec attention, tout n’est pas à jeter ; certains éléments de fond méritent de susciter la réflexion, même si le ton, un brin condescendant et déconnecté du réel, affaiblit très sensiblement le propos qui fleure bon le « Café de Flore ». Il n’est, en effet, pas inconcevable de distinguer la drague, même un peu lourdingue, qui ne constitue pas une offense à la liberté de la femme, et les délits d’atteinte sexuelle, qui doivent être implacablement réprimés. Un regard masculin, même un peu appuyé, sur une silhouette féminine, une invitation à prendre un verre adressée à une inconnue qui passe, un message ou un courrier galant expédié à une collègue de travail, ne doivent pas constituer des délits, en tout cas pas tant que leur auteur arrête les frais aussi vite qu’il aura essuyé une indifférence ou un refus, poli ou non, et ne réitère pas ses avances. On peut effectivement craindre aussi un retour en force du puritanisme et de la censure, qui prendrait l’alibi de la prétendue protection des femmes. La liberté sexuelle que peuvent légitimement revendiquer les femmes et qui doit être juridiquement protégé de la manière la plus énergique qui soit, ne doit pas empiéter sur la liberté artistique. On doit, notamment, pouvoir continuer de disserter sur les pratiques sexuelles pas comme les autres et sur les déviances en tous genres, de filmer ces obscurs objets du désir et ces hommes qui aimaient les femmes, de peindre les parties les plus intimes des uns et des autres, sans subir les foudres des ayatollahs de la bien pensance. Mais, le postulat sur lequel repose essentiellement ce manifeste, à savoir la capacité de toutes les femmes, quels que soient leur milieu social, leur bagage intellectuel et culturel, et leur statut professionnel, à faire la part des choses, à distinguer le bon grain de la drague et l’ivraie attentatoire à leur liberté, et à résister à l’agresseur, relève de l’utopie pure et simple, si ce n’est d’une méconnaissance coupable de la réalité de la condition des femmes, notamment celles auxquelles la vie n’a pas donné les armes pour exercer une véritable liberté sexuelle ou dont la condition sociale ou professionnelle les prive du pouvoir de dire « non ! ». Impossible d’être convaincu, par ailleurs, par la partie de ce manifeste dans laquelle ses auteures affirment qu’une femme peut « ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit. Elle peut même l’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle, voire comme un non-événement » … On ne succombera pas à la tentation trop facile de leur demander s’il leur arrive parfois d’utiliser ce mode de transport, mais, même à supposer que la femme agressée soit dotée d’un esprit vraiment très large, il faut rappeler, à ces dames libérées qui l’ignorent manifestement, que la misère sexuelle n’est pas un fait justificatif en matière pénale.
Bref, cette polémique, manifestement excessive dans la forme, présente au moins le mérite de rappeler, si on s’en tient au strict plan juridique, des règles simples.
D’abord, tout comportement qui remplit les conditions d’une atteinte sexuelle constitue un délit qui doit être réprimé, sans qu’une liberté ou qu’une tradition quelle qu’elle soit puisse être invoquée pour que son auteur échappe à une condamnation.
Ensuite, le critère décisif, qui doit être utilisé pour distinguer ce qui relève de la drague, du charme ou de la séduction licites, et de l’atteinte sexuelle licite, réside dans le consentement de celui ou de celle qui en l’objet. Le sexe consenti n’est pas punissable, le sexe contraint tombe sous le coup de la loi pénale. La sexualité voulue, oui ! La sexualité imposée par la force, qu’elle soit physique, sociale ou psychologique, non !
Enfin, même si on prend pour acquis, comme le soutiennent les rédactrices du Manifeste, que, « nous », les femmes ne sont « pas réductibles à notre corps. Notre liberté intérieure est inviolable. Et cette liberté que nous chérissons ne va pas sans risques ni sans responsabilités », on ne peut en conclure que cette liberté, à supposer qu’elle soit également partagée par toutes les femmes (ce qui est une fable), puisse en quoique ce soit légitimer une atteinte sexuelle. La responsabilité d’une femme agressée ne peut évidemment pas constituer la rançon de son hypothétique liberté, laquelle constitue trop souvent un leurre et constitue l’apanage de privilégiées, dont on peut douter, d’ailleurs, qu’elle la revendiquerait en cas d’atteinte sexuelle avérée.
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