Actualité > Le billet

Le billet

[ 21 juin 2021 ] Imprimer

L’impôt sur les multinationales : pomme de la discorde dans l’Union européenne

L’optimisation fiscale et ces effets négatifs sur l’économie étaient au cœur des discussions du G7 face aux stratégies notamment des géants du numérique. Pour y remédier un accord s’est dessiné au sein du G7 en faveur d’une imposition minimale des multinationales. Cet accord est perçu comme une avancée réelle, d’autant plus que les positions ont très souvent été divergentes entre les États, membres de ce club très fermé. La convergence naissante est encore plus marquante au regard des crispations et des menaces de représailles des derniers mois entre les États-Unis et l’Union européenne concernant l’imposition des entreprises du secteur numérique. Dans le même temps, les critiques sont aisées et fondées sur le taux d’imposition retenue, les 15% apparaissant faibles, sur l’absence de précisions quant aux modalités à venir et sur la difficulté à étendre ces règles à des États qui n’y ont pas été associés, dont la Chine ou l’Inde. Autant dire que l’accord apparait incertain dans sa réalisation.

Ces incertitudes n’ont pas empêché l’expression de voix discordante au sein même de l’Union européenne, l’Irlande se montrant immédiatement défavorable à toute imposition d’un taux minimal. Cette position était prévisible et met en évidence l’incapacité de l’Union à s’entendre sur ces sujets, et finalement à appréhender efficacement les questions fiscales. Ces oppositions sont en outre amplifiées par la multiplication des instances de concertation s’intéressant à la fiscalité.

Le G7 constitue un exemple de ces instances interférents dans le débat, rendant davantage manifestes les dissensions au sein de l’Union. Les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’UE en sont largement responsables.

Ainsi, le G7 ne réunit que deux des vingt-sept États membres, auxquels s’ajoute la Présidence du Conseil européen et de celle de la Commission européenne. Les positions prises, soutenues par l’Allemagne et la France notamment, n’ont pas l’assurance d’être partagées, en l’absence de concertation préalable. Or, ces États ne pouvaient ignorer que l’engagement pris viendrait se fracasser dans les mois à venir sur le processus décisionnel au sein de l’Union et l’intransigeance irlandaise. La levée de bouclier n’a même pas attendu les salons feutrés de Bruxelles. La fiscalité exige l’unanimité des États membres (TFUE, art. 113) et l’opposition irlandaise constitue dès lors un veto.

L’argument pourrait être de forcer la main de certains États membres, dont l’Irlande ici. Cette stratégie semble contreproductive, d’autant plus que l’engagement des institutions et des États a été pris auprès de l’Irlande de maintenir l’unanimité en matière fiscale pour qu’un nouveau référendum soit organisé sur le traité de Lisbonne. En creux l’Irlande pouvait conserver sa politique fiscale « attractive ». En conséquence, revenir indirectement sur cet engagement, sans accord interne préalable, ne grandit pas l’Union et la valeur des accords passés.

Il n’en reste pas moins que depuis le Traité de Nice, le passage de l’unanimité à la majorité qualifiée sur les questions fiscales agite l’Union européenne. La Commission a encore fait une proposition le 15 janvier 2019 pour modifier les modalités de vote, sans succès. Les blocages perdurent et l’unanimité demeure, bien ancrée. Les prises de position au sein de l’Union se multiplient pourtant en faveur d’une convergence fiscale et même d’une politique fiscale européenne. Ainsi, le plan de relance a été une nouvelle occasion d’aborder ce sujet sensible, tout comme les questions autour de l’imposition de l’économie numérique. Le Conseil européen a lui-même abordé la fiscalité dans ses conclusions du 25 mars 2021. La Commission fait également preuve d’initiative en ayant ouvert une procédure à l’encontre d’Apple, sur le fondement de la violation des aides d’État afin de neutraliser la politique fiscale de l’Irlande. Le tribunal de l’UE n’a pas été convaincu, annulant la décision de la Commission par un arrêt du 15 juillet 2020 (Tribunal 15 juill. 2020, T-778/16, Apple Sales International and Apple Operations Europe contre Commission européenne et T-892/16, Irlande contre Commission européenne).

En réalité, la situation n’est pas prête d’évoluer si la solution juridique à vingt-sept reste privilégiée. Si l’Union européenne est sincère dans sa démarche, alors, qu’elle actionne tous les outils à sa disposition. Parmi ces outils, celui de la coopération renforcée mérite d’être mobilisé (TUE, art. 20). Il permet aujourd’hui à neuf États membres d’être à l’initiative de textes afin de renforcer leur degré d’intégration, comme une avant-garde. Certes, il pourrait être avancé qu’un noyau dur d’États ne permettrait pas de mettre fin au dumping fiscal, notamment irlandais. En l’état celui-ci existe et n’est pas fragilisé. Le statu quo ne peut être alors la solution. La coopération renforcée aurait le mérite de favoriser l’émergence d’une véritable politique fiscale, au-delà de la TVA et des différentes impositions dans le secteur de l’énergie.

De plus, à défaut de montrer une unité sur ce sujet, l’Union montrerait auprès des citoyens qu’elle a une capacité à agir sur ce sujet attendu. Elle mettrait également en évidence que l’attractivité ne repose pas uniquement sur des taux d’imposition, mais davantage sur un environnement en terme de services, d’infrastructures et de formation, qui nécessitent des moyens de financements pour perdurer et continuer à attirer les opérateurs économiques et leurs salariés.

La contestation de l’accord du G7 par l’Irlande doit jouer comme un révélateur d’une impasse, favorisant un changement de stratégie avec le soutien de l’Allemagne et de la France. Toute autre démarche traduirait un échec, dont l’état du droit ne pourrait à lui seul expliquer.

 

Auteur :Vincent Bouhier


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr