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L’influence rétrospective de la réforme du droit des contrats
L’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations précise que si les nouveaux textes du Code civil entrent en vigueur au 1er octobre 2016, les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.
Cette disposition de droit transitoire a pour effet de faire cohabiter deux corps de règles : le premier, constitué de l’ancienne version du Code civil, telle qu’interprétée par la jurisprudence, le second issu de l’ordonnance du 10 février 2016. Certes, le législateur s’est souvent contenté de reprendre les solutions anciennes, qu’elles aient été issues de la loi ou de la jurisprudence.
Toutefois, et contrairement à ce que le rapport de présentation de l’ordonnance affirme, cette réforme ne se réduit pas à une « codification à jurisprudence constante », si tant est que cette expression ait un sens.
Les modifications de l’état du droit, si ce n’est les ruptures, sont nombreuses. Que l’on songe par exemple à l’impact du décès de l’offrant sur le devenir de l’offre (C. civ., art. 1117), à la date de conclusion des contrats à distance (C. civ., art. 1121), à la sanction de la rétractation dans la promesse unilatérale de contrat (C. civ., art. 1124), à l’imprévision (C. civ., art. 1195), au régime de la résolution unilatérale (C. civ., art. 1226), à l’effet de la bonne foi en cas d’acquisition successive d’un même immeuble par deux personnes différentes (C. civ., art. 1198), etc…
On pouvait espérer que la Cour de cassation entreprenne un travail destiné à aplanir les divergences entre le droit ancien, applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, et le droit nouveau, applicable aux contrats conclus après.
Certes, il est impossible aux juges de faire converger les droits lorsque la divergence est due à une incompatibilité entre les textes anciens et nouveaux. En revanche, lorsqu’une règle jurisprudentielle ancienne s’oppose à la solution d’un nouveau texte, les juges sont libres d’effectuer un revirement de jurisprudence, sous l’empire des anciens textes, pour mettre en cohérence le droit ancien et le droit nouveau.
Or, un arrêt rendu par une chambre mixte le 24 février 2017 (n° 15-20.411) semble manifester la volonté de la Cour de cassation de s’engager dans cette voie.
Dans cette décision, qui expérimente la nouvelle méthode de motivation des hauts magistrats (V. déjà Com. 22 mars 2016, n° 14-14.218), la Cour de cassation a effectué un revirement de jurisprudence s’agissant de la nature de la nullité frappant le mandat qui ne respecte pas les prescriptions de la loi Hoguet du 2 janvier 1970.
Jusqu’à cet arrêt, la Cour de cassation estimait que cette nullité était absolue au motif que les exigences de forme avaient au moins en partie pour but d’assainir la profession d’agent immobilier. Les règles de forme ayant pour objet de préserver l’intérêt général, la nullité était absolue et pouvait, en conséquence, être invoquée par tout intéressé.
En l’espèce, la question était de savoir si le locataire pouvait invoquer le non-respect des règles de forme du mandat passé entre le propriétaire et l’agent immobilier. Si tel était le cas, le congé qui lui avait été délivré par l’agent immobilier, sur le fondement d’un mandat nul, était inefficace.
Dans la décision brièvement rapportée, la Haute juridiction explique qu’elle considère finalement que la nullité en question n’est que relative parce que le contexte législatif a changé. Le locataire dispose aujourd’hui de textes qui le protègent par ailleurs, de sorte que les règles relatives à la forme du mandat peuvent être considérées comme n’ayant pour objet que de protéger le propriétaire.
Mais, pour justifier son raisonnement, la Haute juridiction énonce encore que « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment l’objectif poursuivi par les dispositions relatives aux prescriptions formelles que doit respecter le mandat, lesquelles visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire ».
Il résulte donc clairement de cet arrêt, mais aussi du rapport du conseiller-rapporteur, que l’ordonnance du 10 février 2016, quoique non applicable au contrat de mandat litigieux, a servi de source d’inspiration pour faire évoluer le droit ancien.
La solution est remarquable car, en vérité, il n’était pas nécessaire de viser l’ordonnance.
D’abord, parce que celle-ci n’a pas modifié l’état du droit en matière de nullité. Elle a simplement intégré, dans le Code civil, la théorie dite « moderne » des nullités qui était déjà connue avant l’entrée en vigueur de la réforme.
Ensuite, on comprend mal comment l’ordonnance permet « d’apprécier différemment les dispositions relatives aux prescriptions formelles que doit respecter le contrat de mandat » alors précisément que l’ordonnance ne prend pas position quant à la nature de la nullité en cas de manquement à une exigence de forme (C. civ., art. 1172, al. 2).
C’est dire qu’aujourd’hui, comme hier, il faut s’intéresser à l’objectif poursuivi par la forme pour déterminer la nature de la nullité. Les hauts magistrats auraient donc pu se contenter de viser l’évolution de la protection législative du locataire pour justifier la modification de sa perception de l’objectif des règles de forme du mandat liant le propriétaire à l’agent immobilier.
Paradoxalement, parce que la référence à l’ordonnance du 10 février 2016 n’était pas nécessaire, la décision du 24 février 2016 voit sa portée symbolique renforcée. On peut penser que les hauts magistrats ont saisi l’occasion qui leur était donnée pour indiquer que le droit ancien serait réinterprété à la lumière des dispositions nouvelles.
Sans être applicable, formellement, aux contrats anciens, l’ordonnance pourrait permettre de faire évoluer les solutions jurisprudentielles applicables aux contrats anciens.
Toutefois, la prudence est de mise car, en l’espèce, l’ordonnance ne dit pas autre chose, s’agissant de la distinction nullité relative/nullité absolue, que l’ordre juridique ancien.
Il faudra donc attendre que la Haute juridiction fasse converger une solution ancienne avec une solution nouvelle différente pour que l’on soit certain de l’influence rétrospective de la réforme du droit des contrats.
La rétractation du promettant dans la promesse unilatérale de vente pourrait constituer un bon test. Chacun sait que, depuis un arrêt du 15 décembre 1993 (n° 91-14.999), la Cour de cassation considère que la rétractation du promettant, en violation de sa promesse, empêche la formation de la vente si elle intervient avant la levée d’option du bénéficiaire et qu’elle n’est donc sanctionnée que par des dommages et intérêts. Cette règle jurisprudentielle a été brisée par l’article 1124 du Code civil qui prescrit l’inefficacité de la rétractation.
En raison de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, il faut donc distinguer entre les promesses : les promesses unilatérales de vente conclues avant le 1er octobre 2016 sont régies par la règle jurisprudentielle ancienne, tandis que les promesses conclues après le 1er octobre 2016 se voient appliquer l’article 1124 du Code civil.
Si d’aventure, à propos d’une promesse unilatérale de vente conclue avant le 1er octobre 2016, la Cour de cassation venait à effectuer un revirement de jurisprudence en considérant que la rétractation du promettant était inefficace et si, a fortiori, elle se justifiait en visant « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », l’influence rétrospective de la réforme du droit des contrats serait incontestable.
Attendons !
Références
■ Com. 22 mars 2016, n° 14-14.218 P, D. 2016. 704 ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; RTD civ. 2016. 343, obs. H. Barbier ; RTD com. 2016. 317, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-14.999.
■ Daniel Manguy, Effet immédiat de la réforme du droit des contrats, suite … à propos de Cass. ch. mixte 24 févr. 2017.
■ Bruno Dondero, L’effet immédiat de la loi nouvelle, Cass. civ. 3e, 9 févr. 2017, n° 16-10.350
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