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[ 4 décembre 2023 ] Imprimer

L’installation d’espaces de téléconsultation dans les gares : une bonne idée ?

L’annonce par la SNCF de son intention de déployer des espaces de téléconsultation dans 300 gares d’ici à 2028 a suscité de vives réactions, notamment de la part du Conseil national de l’Ordre des médecins (v. « Boxes de téléconsultation – SNCF », 20 nov. 2023 : ici). Ce dernier a exprimé « sa très profonde inquiétude quant au développement d’une telle activité commerciale et économique de la Santé ». Évoquant une « dérégulation de notre système de santé », le Conseil national de l’Ordre des médecins critique les « fortes inégalités territoriales d’accès aux soins » que consacrerait une telle évolution, laquelle détournerait en outre les professionnels de santé de l’exercice en présentiel dans les territoires les plus vulnérables.

La SNCF souligne, au contraire, sa volonté de « faciliter l’accès aux soins des Français dans des zones ne disposant pas d’une culture médicale suffisante » (v. « Prévention, dépistage, télémédecine : la santé entre en gare : ici), présentant cette initiative comme une solution aux « déserts médicaux » » : les gares retenues pour cette expérimentation seront en effet situées dans les zones d’intervention prioritaires (ZIP) et les zones d’action complémentaire (ZAC), caractérisées par une offre de soins insuffisante et une difficulté d’accès aux soins.

Réservée aux médecins, la télémédecine est définie, depuis 2009 (L. n° 2009-879 du 21 juill. 2009), comme une « forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication » (CSP, art. L. 6316-1). Le décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 la décline en cinq types d’actes : la téléconsultation, la télé-expertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale et la réponse médicale apportée dans le cadre de la régulation médicale. La téléconsultation, qui permet à un patient de consulter un professionnel médical à distance, s’est fortement développée depuis la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, laquelle a largement participé à son acceptabilité sociale.

La téléconsultation est présentée par les pouvoirs publics comme une réponse possible aux défis que doit relever le système de santé français, notamment aux inégalités territoriales d’accès aux soins. En réalité, l’analyse des chiffres extraits du Système national de données de santé (SNDS) révèle que ce nouveau mode de consultation attire, paradoxalement, surtout les populations, plutôt jeunes, des zones urbaines à plus forte densité médicale, qui maîtrisent bien les outils numériques. La « téléconsultation en autonomie », réalisée par le patient seul face à son écran, n’est donc pas LA solution tant espérée pour lutter contre les « déserts médicaux »

Permettre une plus large appropriation de la téléconsultation supposerait, d’une part, de développer la « téléconsultation assistée » (v. Projet de recherche EDeTeN : ici) et, d’autre part, de mettre en place des « tiers lieux de la télémédecine » (A. Cayol, « Tiers-lieux à l’ère du numérique : Vers la mise en place de « tiers-lieux » de la télémédecine ? », RFFP sept. 2021, n° 155, p. 133 à 140).

L’initiative de la SNCF présente le mérite de suivre de telles recommandations. Il est, d’abord, précisé que le patient sera accompagné par un infirmier diplômé d’État (IDE), ce qui permettra de rendre la téléconsultation accessible au plus grand nombre (personnes âgées, personnes vulnérables, personnes souffrant d’illectronisme, etc.) en assurant une prise en charge de qualité.

La SNCF insiste, ensuite, sur sa volonté de concevoir la gare comme un « hub de services territoriaux », soulignant que « 90 % de la population réside à moins de 10 km d’une gare ». Celle-ci pourrait ainsi devenir un « tiers lieu de la télémédecine » accessible au plus grand nombre, les services de téléconsultation n’ayant pas vocation à être réservés aux usagers des transports mais étant aussi proposés aux riverains des lieux d’implantation.

Il importe, cependant, pour être une solution pertinente et de qualité aux « déserts médicaux », que l’installation d’espaces de téléconsultation dans les gares soit réalisée dans le respect de la déontologie et de l’éthique médicale (v. Charte éthique sur les usages et le développement des téléconsultations en Normandie : ici). La pertinence du recours à la téléconsultation doit, d’abord, être évaluée au regard de la situation clinique du malade. Il est, ensuite, nécessaire que l’information du patient et le recueil de son consentement (tant à l’acte de soin qu’au recours à la technologie) ne soient pas négligés. Il est, enfin, important que l’aménagement des locaux permette d’assurer la qualité et la sécurité de la prise en charge : existence d’un espace préservant l’intimité du patient qui aurait à se dévêtir ; isolation phonique et visuelle assurant la confidentialité des échanges ; désinfection après chaque patient, etc.

Il est également essentiel que l’initiative de la SNCF soit conçue comme un outil complémentaire de l’offre de santé sur un territoire donné et non comme un substitut, susceptible de conduire à une médecine « de seconde zone » pour des patients isolés, ne pouvant plus avoir accès à des soins en présentiel. Le risque serait alors d’aggraver les « déserts médicaux » plutôt que d’y apporter une solution. La SNCF insiste ainsi sur le fait que les lieux précis d’implantation seront déterminés « dans le cadre des projets régionaux et territoriaux de santé pilotés par les ARS, en concertation avec les acteurs de la santé et les collectivités locales » et que les patients seront examinés à distance par « un médecin exerçant sur le territoire français, de préférence localement ». La proximité géographique entre le médecin et le patient est en effet primordiale afin de permettre une coordination territoriale des soins.

 

Auteur :Amandine Cayol


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