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[ 15 décembre 2010 ] Imprimer

L'introuvable urbanisme écologique

Depuis désormais près de dix années, tous les grands concepts du droit de l'urbanisme ont été repeints en vert : les plans locaux d'urbanisme sont dotés d'un « projet d'aménagement et de développement durable », les constructions « Haute qualité environnementale », sont censées pouvoir bénéficier de majoration de droits à construire, les schémas de cohérente territoriale renforcent leurs exigences écologiques, et les plans de préventions des risques naturels vont encore être renforcés à la suite de la tempête qui a dramatiquement touché le littoral Atlantique.

Bref, l'écologie, la protection de l'environnement, le développement durable, la lutte contre le changement climatique sont au centre de toutes les actions publiques dans l'urbanisme contemporain.

Sauf que..., sauf que c'est faux. Ces accumulations de nos langues urbanistiques, de plans divers, de bonifications en tous genres, ne font que masquer une réalité brutale et massive : notre urbanisme contemporain continue de progresser sous l'impulsion donnée dans les années 1950 par la technocratie de la IVe République : lotissements pavillonnaires, créations de zones d'activités à préemption rapide, consommation des espaces agricoles périurbains, augmentation des trajets moyens des individus, tout cela continue, et tout cela continue de manière de plus en plus massive.

Se pose alors la question du pourquoi. Il n'y a pas à brandir ici un supposé complot, qui ferait du discours « éco responsable » un alibi pour dissimuler un consensus caché autour de la poursuite de pratiques polluantes ou bétonneuses. La réalité est bien plus visqueuse et plus épaisse que la théorie du complot.

La première raison, elle vient d'abord de l'incapacité de l'État à assurer le pilotage, ou la régulation si l'on veut parler moderne, d'un urbanisme qui place la responsabilité écologique au centre de ses préoccupations. Il suffit de deux exemples pour s'en convaincre :

D'abord la loi Grenelle 2, qui contient la mise en musique du Grenelle de l'environnement en matière d'urbanisme a végété sur le bureau des Assemblées pendant plus d'un an, et ce texte est frappant par son manque étonnant d'ambitions : des outils qui n'ont servi à pratiquement rien, comme les « directives territoriales d'aménagement», sont rebadgés en « directives territoriales d'aménagement et de développement durable », comme des automobiles au succès médiocre, à la fin de leur carrière commerciale.

La seconde raison, elle est à trouver du côté des acteurs locaux qui sont soumis à des contraintes contradictoires à partir desquelles ils ne parviennent pas à dessiner de nouveaux équilibres. Pour le maire d'une commune de banlieue, ouvrir les « bonifications » de droits à construire, c'est donner le signal de la densification qui lui aliénera toute la clientèle, nombreuse stable et influente, des quartiers pavillonnaires. Pour le maire d'une commune rurale, renoncer à la transformation d'une activité agricole en entrepôt logistique, s'est renoncer à de nombreuses ressources fiscales, mais pas uniquement, et faire passer un message auprès des agriculteurs proches de la retraite qui ne permettra pas la valorisation de leur patrimoine. Pour le maire d'une commune centre, sanctuariser le cœur de cité, s'est externaliser les contraintes, par les transferts de populations défavorisées, d'activités productrices de nuisances, grâce à l'augmentation de la valorisation foncière.

Aucun de ces enjeux n'est aujourd'hui véritablement pris en compte, et ce ne sont pas les mesurettes de la loi Grenelle 2, s'il est un jour finalement adopté, qui y changeront grand-chose. Si l'on veut aujourd'hui que l'urbanisme puisse devenir un des outils efficaces de politiques publiques écologiquement responsables, il faut d'abord que l'État cesse de rationaliser et offre à tous les acteurs des outils puissants et performants, au risque d'entrer en conflit avec les intérêts de courte vue.

Il faut aussi savoir lutter, non pas contre la décentralisation, mais contre l'immobilisme des acteurs locaux. Qu'on y songe, plus de 10 ans après la relance de l'intercommunalité les communautés  d'agglomération ne sont toujours pas compétentes, sauf exception, pour réaliser les plans locaux d'urbanisme, et il faudra sans doute attendre l'horizon 2015 pour voire émerger les tous premiers de ces plans et l'horizon 2025 pour qu'ils soient généralisés !

C'est donc peu dire que l'urbanisme écologiquement responsable a aujourd'hui besoin d'une action énergique de l'État. Or, à l'heure où l'on parle de nouveau de réforme du droit de l'urbanisme, on ne voit guère s'engager un mouvement en ce sens.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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