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[ 20 juin 2016 ] Imprimer

Lobby or not lobby Part II : l’article 13 du projet Sapin dans sa version du 14 juin 2016

Le projet de loi « Sapin II » relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a déjà fait l’objet dans ses colonnes d’un édito au cours duquel avaient été mises en lumière les forces et les faiblesses de l’article 13 destiné à encadrer l’influence des représentants d’intérêts sur le pouvoir exécutif et l’administration. Ce texte a depuis lors été débattu à l’Assemblée nationale au tout début du mois de juin, où n’étaient présents malheureusement qu’une vingtaine de députés. Un texte amendé a été arrêté le 14 juin 2016. Ce débat, qui a notamment été précédé de la consultation de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et d’un avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, a semble-t-il porté ses fruits. Le texte a été substantiellement modifié même si des améliorations sont encore possibles.

Parmi les améliorations, il faut noter une définition plus claire et plus large des représentants d’intérêts (art. 18-1 de la loi du 11 oct. 2013 mod.). Le texte, ne suivant pas en cela les observations du Conseil d’État, a choisi de viser, notamment, les personnes morales « dont l’activité principale ou accessoire a pour finalité d’influer pour leur compte propre ou celui de tiers, sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire, en entrant en communication (…) ». On peut encore regretter que la définition soit dispersée à deux endroits du texte car entre les personnes morales et les personnes physiques de l’autre, se glissent des dispositions relatives aux cibles des représentants d’intérêts.

En revanche, la liste des « exclus » est moins étendue qu’auparavant comme cela avait été suggéré dans ces colonnes. Sont exclus de la catégorie des représentants d’intérêts les élus dans le strict exercice de leur mandat, les partis et groupements politiques (mais pas les associations d’élus), les organisations syndicales de salariés et d’employeurs en tant qu’acteurs du dialogue social et les associations à objet cultuel dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes. Dans ces deux derniers cas, le texte n’est pas clair. Est-ce qu’il faut comprendre que les syndicats et les associations à objet cultuel sont définitivement exclus de la liste des représentants d’intérêts ? Dans l’affirmative, c’est très critiquable. Qui peut oser soutenir que le MEDEF n’est pas un lobby ? Pourquoi ne pas exclure également les ONG qui participent au dialogue environnemental ? En outre, que faut-il entendre par association à objet cultuel ? S’agit-il des seules associations reconnues par l’État ou peut-on y intégrer dans une conception élargie les « sectes » ? Le texte pourrait cependant être interprété autrement. Il faudrait comprendre que, en dehors du circuit officiel du dialogue social et en dehors des relations institutionnelles entre les associations à objet cultuel et le ministre et ses services chargés du culte, ils appartiendraient à la catégorie des représentants d’intérêts et devraient en tant que tels s’enregistrer. Mais pourquoi, par analogie avec les associations à objet cultuel, ne pas dire la même chose des associations de défense de l’environnement qui s’adressent au ministère de l’écologie ou encore des associations étudiantes qui s’adresseraient au ministère de l’éducation nationale ou de l’enseignement supérieur ? Une clarification s’impose.

Quant aux cibles, il faut souligner l’entrée du Président de la République parmi la liste des personnes concernées, ce qui pourrait probablement poser un problème d’ordre constitutionnel. Surtout, on peut se féliciter que le projet de loi intègre désormais les députés et les sénateurs afin d’unifier le dispositif de contrôle et d’éviter des différences de régime qui seraient difficiles à justifier. On notera en outre l’entrée dans la liste des membres des collectivités territoriales. Enfin, parmi d’autres cibles, une attention particulière doit être portée l’influence exercée sur un membre du Conseil constitutionnel ou d’une section administrative du Conseil d’État. Pourquoi ne pas aller au bout du raisonnement et réfléchir à cette question de l’influence exercée auprès de tous les juges ?

Le dernier état du texte se montre également plus exigeant sur les informations devant être communiquées par les représentants d’intérêts, notamment sur le plan financier. Ainsi les représentants d’intérêts doivent communiquer le « budget lié aux activités de représentation d’intérêts exercées par chacun des tiers » pour le compte desquels ils agissent. En outre, les représentants d’intérêts doivent communiquer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, chaque semestre, un bilan des activités de représentation en indiquant le montant des dépenses et le chiffre d’affaires associés à ces activités et les principales sources de financement.

Quant aux obligations imposées aux représentants, composées essentiellement d’abstentions, elles ne sont plus qualifiées de règles déontologiques. C’est appréciable car elles manquaient de consistance. C’est la raison pour laquelle il est prévu que « les présentes dispositions peuvent être précisées au sein d’un code de déontologie des représentants d’intérêts pris par décret en Conseil d’État ». On peut regretter que cette mission n’ait pas été confiée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui aurait pu notamment adapter son contenu en fonction des circonstances. Confier cette fonction au Conseil d’État c’est se priver d’une méthode expérimentale et plus souple qui aurait pu être menée par la Haute Autorité.

Enfin, quant aux sanctions, le montant de la peine est passé à 50000 euros. On doute qu’un tel montant décourage les représentants d’intérêts mal intentionnés. Pourquoi ne pas avoir prévu un montant plus dissuasif en lien notamment avec le chiffre d’affaires du représentant concerné ? Quant à la suspension, elle n’intervient qu’à titre subsidiaire si le représentant d’intérêts a déjà été sanctionné au cours des trois années précédant l’engagement de la nouvelle procédure de sanction !

Certes, le nouvel article 13 est de bien meilleure facture que la première version. Il n’en reste pas moins un texte purement symbolique dont la portée normative sera limitée. Non seulement seul le grasstop lobbying est encadré et non le grassroots lobbying, mais surtout le législateur n’a pas osé aller au bout du processus d’encadrement en imposant notamment : une réforme d’ensemble des procédures de consultation (modalités de la consultation, harmonisation des guides de consultation, respecter l’égalité des armes…), une mise en œuvre de sanctions plus dissuasives, la mise en place d’une traçabilité normative…

Alors, restons dans l’esprit shakespearien : Much ado about nothing… ?

 

Auteur :Mustapha Mekki


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