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Le billet

[ 2 juillet 2018 ] Imprimer

Lobby or not lobby…!

Les oppositions lors de l’élaboration de la loi Agriculture et alimentation (lobbys des industriels, des agriculteurs et des associations citoyennes ou écologiques), les débats sur le projet de loi Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (lobbys des opérateurs télécom, des promoteurs immobiliers et des fonds d’investissement), les discussions lors du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agroalimentaire, la coloration plus libérale de la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 sur la réforme du droit des obligations, les compromis lors de la rédaction de l’ordonnance réformant le droit du travail, les amendements votés à l’occasion de la réforme de la SNCF, autant d’illustrations de l’influence normative des groupes d’intérêts, parfois appelés groupes de pression ou lobbys.

Les sujets de discordes sont tout aussi nombreux et variés : cage des poules pondeuses, utilisation du glyphosate, broyage des poussins, usage de drones pour épandre des pesticides, castration à vif des porcelets, instruments protecteurs des parties faibles, statut des nouveaux salariés de la SNCF… Le rôle et la légitimité des lobbys restent au cœur des polémiques, même si le Rapport de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, publié le 31 mai 2018, observe une progression de la transparence. La question est récurrente : Ces « lobbys » constituent-ils une force subversive ou une force vive ? Pour répondre de manière constructive à cette interrogation, une définition s’impose en premier lieu.

Que sont les groupes de pression et le lobbying ? Les groupes de pression sont une espèce du genre « groupes d’intérêt » et désignent une « organisation constituée qui cherche à influencer les pouvoirs politiques dans un sens favorable à son intérêt ». Le groupe d’intérêt a pour objet de fabriquer, de représenter et de tenter « d’imposer ou de défendre un intérêt ou une cause ». Les textes les plus récents traitent des « représentants d’intérêts », catégorie plus neutre et plus ouverte. Dès les années 1970, la notion de lobbying l’emporte dans le discours et renvoie à « une organisation commerciale qui sert aux groupes de pression comme moyen d’action ». A proprement parler, les lobbyistes ne défendent pas leurs propres intérêts mais ceux de leurs clients. Traditionnellement, il existe en France une méfiance à l’égard des groupes d’intérêts qui « court-circuitent » le grand et noble intérêt général qui se veut au-dessus des intérêts particuliers (v. not. la défiance du « Club Jean Moulin »). 

Cette méfiance jure avec l’accueil qui leur est réservé dans des systèmes pluralistes tels que les États-Unis ou devant les instances de l’Union européenne. Ce regard sur les « représentants d’intérêts » a évolué avec le temps, bénéficiant désormais d’une reconnaissance légale au sein du système juridique français. Ainsi l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 modifiée par la loi Sapin II du 9 décembre 2016 définit les représentants d’intérêts comme «  les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les organismes mentionnés au chapitre Ier du titre Ier du livre VII du code de commerce et au titre II du code de l'artisanat, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire en entrant en communication (...) » avec une liste d’acteurs publics désignés par la loi (art. 18-2, 1° à 7°). La loi ajoute « (…) les personnes physiques qui ne sont pas employées par une personne morale mentionnée au premier alinéa du présent article et qui exercent à titre individuel une activité professionnelle répondant aux conditions fixées au même premier alinéa ». Les élus locaux, dans l’exercice de leur mandat, les partis politiques, les associations représentatives des élus, les organisations syndicales, les organisations professionnelles d’employeurs et les associations à objet cultuel dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes, les associations représentatives des élus, sont exclus (18-2, dernier al. a) à e)). Cette définition légale ne circonscrit pas le débat. Les « groupes d’intérêts » englobent une catégorie plus large. Certains médias laissent entendre que les « lobbys » sont nécessairement économiques. Une telle approche est discutable. Il n’y a pas de bons ou de mauvais lobbys. Les syndicats, les ONG, les associations familiales sont également des lobbys, « lobbys citoyens », même si souvent ils contestent une telle qualification, préférant celle de « plaidoyers ». Pour appréhender pleinement le phénomène, les groupes d’intérêts doivent être définis de manière neutre au moyen d’un critère procédural : ils se définissent par leurs modes d’action, influencer directement ou indirectement, par leurs cibles, les pôles de décision juridique et politique ou l’opinion publique, et par leurs objectifs, la promotion et la protection d’intérêts particuliers, qui ne sont pas nécessairement incompatibles avec l’intérêt général.

L’influence croissante des « lobbys » est un mal nécessaire qui peut s’expliquer de diverses manières. Tout d’abord, la mutation de l’État, l’essor du modèle du marché et la globalisation ont entraîné une évolution de la notion d’intérêt général qui n’est plus conçu comme un intérêt transcendant, au-dessus des intérêts particuliers, mais davantage comme le résultat d’un arbitrage entre les intérêts publics et privés. Ensuite, la complexité croissante des questions soumises aux décideurs politiques et juridiques oblige ces derniers à faire appel à une expertise externe, besoin auquel répondent les groupes d’intérêts. Cette ouverture sur les groupes d’intérêts renforce également l’idée d’une démocratie participative.

Leurs modes d’action sont divers (grassroots ou grasstop lobbying, individuels ou collectifs), par amendements clés en main, rapports d’études ou des campagnes de sensibilisation ou de communication, et leurs cibles très variées, telles que les commissions des lois, les députés ou les sénateurs pris individuellement, les administrations centrales, les juges, y compris les membres du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État (V. Les sages sous influencerapport des Amis de la Terre et l’Observatoire des multinationales), les autorités administratives, médias, l’opinion publique…

Sans tomber dans les travers du système américain, que résume une réplique célèbre du chef-d’œuvre cinématographique Mister Smith goes to Washington (« Mes compromis ont servi le peuple américain, grâce à eux notre État présente le plus faible taux de chômage et obtient le plus de subventions »), la légitimité des lobbyistes est, spécialement en France, questionnée. La légitimité technique et politique de ces groupes d’intérêts doit être défendue, malgré les critiques régulières des médias dans les affaires les plus récentes. Les deux principales raisons d’une telle défiance sont, d’une part, une mauvaise connaissance de ce que sont les groupes d’intérêts et de leur rôle, et d’autre part, une absence d’encadrement clair de leur mode d’intervention. C’est en canalisant leur mode d’intervention qu’on augmentera leur légitimité. La proposition n’est pas nouvelle mais n’a pas été suivie de mesures substantielles. L’établissement de principes procéduraux est ainsi défendu depuis de nombreuses années, au-delà de la seule obligation d’enregistrement auprès des chambres parlementaires. Ces principes doivent renforcer la traçabilité des décisions et des jeux d’influence (principes de transparence et  d’accountability…) et garantir l’existence d’un débat équitable (égalité des armes, principe du contradictoire…). Sans cet encadrement procédural, leur intervention paraîtra toujours suspecte et le passage à une société de confiance compromis.

 

Auteur :Mustapha Mekki


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