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[ 25 février 2019 ] Imprimer

L'obligation d'information sur les conditions de travail : l'amorce d'une relance de l'Europe sociale ?

Le Conseil, le Parlement et la Commission Européenne ont conclu, en février 2019, un accord sur l'adoption prochaine d'une nouvelle directive relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l'Union Européenne. Traduction du projet de relancer l'Europe sociale autour du Socle européen de droits fondamentaux adopté au Sommet de Göteborg en 2017, cette nouvelle directive paraît triplement intéressante. 

■ Le texte, ainsi que les différents documents préparatoires, montrent d'abord une prise de conscience de la nécessité de renforcer, face aux évolutions économiques, la place des droits sociaux. Comme le relève la Commission, celles-ci conduisent à une précarité accrue de certains travailleurs, qu'il s'agisse des travailleurs des plateformes numériques ou des salariés exposés à des conditions d'emploi dégradées. Ces mutations sont préoccupantes, tant par les conditions sociales qu'elles infligent, que par le dumping social entre les entreprises et les États qu'elles engendrent. Le projet est donc de créer un ensemble de droits minimaux pour tous les  « travailleurs », qualité qui sera reconnue en commun aux salariés et à certains indépendants, dont la directive propose une définition inspirée par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union Européenne.

■ Le texte promeut ensuite un ensemble de nouveaux droits. Ceux-ci sont d'abord recherchés du côté du droit à l'information sur les conditions contractuelles. Le texte viendra en conséquence renforcer (et remplacer) les obligations provenant de la directive du 14 octobre 1991 relative à l'information sur les conditions applicables au contrat ou à la relation de travail. Il prévoit notamment la nécessité d'un document spécifique, remis au plus tard au premier jour de la relation de travail, comprenant une information sur des éléments essentiels de la relation de travail tels que la durée de la période d'essai, le recours aux heures supplémentaires, les plannings, ou les droits à protection sociale. Ces droits à information sont complétés par des règles substantielles régissant les relations de travail, telles que la limitation à six mois au maximum de la période d'essai, la restriction du recours à des clauses d'exclusivité, l'exigence d'un minimum de prévisibilité en cas d'horaires instables, ou l'octroi de la formation nécessaire à l'exécution du travail. L'ensemble est garanti par une sanction ferme : la requalification de la relation en CDI à temps plein en l'absence de transmission des informations requises. Si nombre de ces droits à information ou de ces droits substantiels sont déjà reconnus en droit français, ils exigeront de corriger un certain nombre de règles, par exemple celles issues de l'ordonnance du 22 septembre 2017 excluant la requalification du CDD en cas de transmission tardive du contrat (C. trav., art. L. 1245-1).

■ Enfin, d'un point de vue juridique, le texte est intéressant par la place qu'il octroie à l'information : loin d'être conçue comme une obligation d'information pré-contractuelle nécessaire au consentement, telle que conçue par l'article 1112-1 du Code civil, le texte consacre une obligation de transparence portant sur les conditions d'emploi et de travail applicables. Celle-ci est conçue comme la condition de la garantie des droits substantiels à l'encontre de la précarité : il s'agit de promouvoir un emploi « plus sûr et plus prévisible » comme l'indique la Commission dans l'exposé des motifs. Le projet semble considérer (à juste titre) que l'information sur les droits ne peut exister sans la reconnaissance préalable de droits communs à tous les travailleurs. 

Le projet d'une nouvelle directive ne pourra donc que réjouir les tenants d'une relance du projet d'Europe sociale, resté au point mort depuis de longues années. Il montre que le socle Européen des droits sociaux fournit un horizon qui peut encore réunir les États membres dans une conception renouvelée de la place des droits sociaux . 

Pour autant, on ne saurait méconnaître non plus les faiblesses d'un tel texte. Celui-ci est fondé sur une vision étroite de la place du modèle social européen, qui se restreint à accompagner les évolutions économiques sans leur trop porter de limites. L'objectif assumé est de ne pas entraver la « capacité d’adaptation du marché du travail ». Les droits garantis restent en conséquence modestes et ignorent les questions très profondes posées par les évolutions économiques : la nécessité d'éradiquer les formes de faux travail indépendant qui ne constituent que des fraudes à l'encontre de l'application du droit social (Cf. Affaire Take Eat Easy en France), l'incompatibilité avec un modèle social digne de ce nom de formes d'emploi tels que les contrats zéro heures permettant un travail à la demande sans aucune durée d'emploi garantie, ou encore la place essentielle qui doit être faite à la négociation collective dans la détermination des conditions de travail et d'emploi, tout comme à l'information-consultation en cas d'évolution de celles-ci. 

Ces aspects, qui jusqu'ici paraissaient être des éléments sous-jacents d'un modèle social européen, sont ignorés par le projet de directive. Le socle des droits sociaux paraît ainsi bien peu ambitieux, mais il faudra, faute de mieux, s'en contenter dans une conjoncture guère favorable à l'épanouissement de l'Europe sociale. 

Pour aller plus loin 

■ Proposition de directive relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’UE (2017) 

■ Directive 91/533/CEE du 14 octobre 1991 relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail

■ S. Robin-Olivier, Chronique Politique sociale de l'UE - Un nouveau départ pour la politique sociale de l'Union : premier bilan des effets du socle européen des droits sociaux, RTD eur. 2018. 403

■ Sur le socle Européen des droits sociaux :

K. Chatzilaou, Vers un socle européen des droits sociaux : quelles inspirations ? RDT 2017. 175

S. Laulom, L'espoir d'une revitalisation du projet d'Europe sociale, RDT 2017. 455

J. P. Lhernould, Socle européen des droits sociaux : le discours et la méthode, RDT 2017. 458

P. Rodière, Le dévissement de l'Europe sociale -sur les explications " du socle européen des droits sociaux par la Commission, RTD eur.  2018. 45

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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