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Loi El Khomri : un droit du travail plus neuf que neuf
Avant même d'avoir été présenté au Parlement, le projet de loi réformant le Code du travail présenté par Myriam El Khomri, Ministre du travail, a suscité de vifs débats, opposant les tenants du texte qui y voient une loi d’adaptation du droit du travail à un contexte économique nouveau, à ses opposants, qui le présentent comme l’expression d'un néo-libéralisme impudent.
La rare virulence des échanges pourrait, tout autant que d’oppositions politiques, être nourrie de la manière dont est mené le processus législatif par le présent gouvernement, empruntant davantage aux méthodes d’un marketing incongru qu’au souci d’un débat démocratique et contradictoire.
Les motifs du projet de loi diffusé méritent à eux seuls d’être étudiés à ce titre. L’argumentation se concentre sur un lieu commun centré sur le besoin de nouveauté qu’auraient les usagers du droit du travail. L’entier univers des relations de travail est ainsi marqué du sceau de la nouveauté : il est ici question de la « phase de profonds changements » dans laquelle entre le monde du travail, des « nouvelles formes d’emploi », du « nouveau monde du travail », du « nouveau modèle social », des « nouvelles protections attachées à la personne », de la « gouvernance des relations sociales » « profondément rénovée ». La « mondialisation », le « numérique », la « multiactivité » et jusqu’à la « transition énergétique » en seraient les facteurs. Il ne saurait être question de dénier la réalité ni même l’intensité de ces transformations. Mais leur imploration rappelle à l’évidence des méthodes publicitaires, dont la rhétorique est bien connue : dénier aux objets existants tout intérêt pour mieux vendre un produit qui présente tous les attraits de la nouveauté. Ainsi, notre vieux Code du travail (pourtant réécrit il y a moins de 10 ans) serait à changer pour un nouveau, mieux adapté aux besoins des usagers. Le texte présenterait toutes les vertus : ainsi que l’annonce le titre du projet de loi, il s’agirait rien moins que d’instituer « de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les actifs ».
Pourtant, comme souvent en matière de marketing, l’emballage peut paraître plus prometteur que le contenu. Que sont ces nouvelles libertés et ces nouvelles protections ? Avant tout un ensemble hétéroclite de mesures aux finalités variées : un préambule fait de principes essentiels censé guider la rédaction d’un futur (nouveau) Code du travail annoncé pour 2018, la réécriture des normes applicables au temps de travail destinées à en faciliter la lecture, l’assouplissement de la révision et de la dénonciation des accords collectifs ou encore la « modernisation » de la médecine du travail. Du point de vue de leur apport normatif, ces règles montrent avant tout un amoindrissement des droits des salariés, que ce soit de par la place accrue faite à la négociation collective d’entreprise, la flexibilisation de certains dispositifs de temps de travail, l’affaiblissement de la résistance du contrat de travail aux accords portant sur l’emploi, le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement, la modification de la définition du motif économique de licenciement, le recours accru au référendum d’entreprise. Les « nouveaux droits » mis en avant se limitent à un compte personnel d’activité peu ambitieux et à l’institution d’un « droit à la déconnexion » aux contours incertains.
Les nouvelles règles promues montrent au total avant tout la préoccupation de libérer des marges de manœuvre au profit des entreprises en faisant un pari sur les conséquences que cela pourrait avoir sur la croissance et l’emploi. La faiblesse de la rhétorique de la nouveauté dans cette perspective est patente : les évolutions relevées induisent une évolution du travail et de l’emploi, qui nécessiterait un débat approfondi sur les outils économiques et sociaux destinées à y faire face. Si les entreprises ont besoin de disposer d’un environnement qui leur permette de s’adapter aux contraintes du temps, cela ne saurait se faire sans imaginer de prendre à bras le corps la question des risques induits par ces mutations : risque d’emploi induit par une restructuration profonde de l’économie, risques psycho-sociaux induits par la transformation du travail, risques économiques découlant de la reconfiguration des solidarités. Sans oublier non plus la solidité et la permanence du noyau dur de la relation de travail que constitue le lien de subordination.
Promouvoir des évolutions en se contentant d’en promouvoir la nouveauté est un moyen d’esquiver tout débat qui n’a pu qu’attiser les résistances de tous ordres à l’encontre d’un texte qui n’avait pour seul mérite que d’être discutable.
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