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L’Ukraine, une piqûre de rappel en faveur de l’intégration européenne
Une nouvelle fois, la troisième au cours des dernières décennies, la guerre est aux frontières de l’Union européenne. Se sont ainsi succédé la guerre en ex-Yougoslavie à partir de 1991 et le conflit armé au Kosovo en 1998 et 1999. Au-delà de ces affrontements, l’Union a été le témoin direct du conflit en Ossétie du Sud en 2008 et de l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie. Le continent européen est loin d’être totalement pacifié, ce qui est dans la continuité de son histoire depuis le Moyen-Âge. Seule l’UE semble demeurer un havre de paix, même si le conflit nord-irlandais ne doit pas être ignoré.
Le conflit russo-ukrainien interfère sans doute davantage avec l’Union européenne et ses conséquences concrètes ne pourront être évaluées avant plusieurs mois. Il est cependant certain que cette guerre contient les germes d’une potentielle déstabilisation de certains États membres, dont les États baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie) qui ont des relations complexes avec la Russie, sachant que l’occupation soviétique a seulement pris fin en août 1991. La Lettonie, par exemple, comprend une minorité russophone, dont les droits sont en partie restreints par rapport au reste de la population. La Lituanie soutient, elle, ouvertement l’opposition russe et constitue une terre d’accueil pour celle-ci. L’agression armée de la Russie sur l’Ukraine fait ainsi peser une menace sur la stabilité de ces États et laisse planer les doutes sur les intentions russes à leur égard.
Au-delà, ce conflit constitue une piqûre de rappel sur l’importance de l’intégration communautaire et des politiques qui doivent en découler. L’accent peut être mis sur trois politiques, dont le point commun est de concerner la sécurité de l’Union :
— premièrement, la sécurité énergétique est en cause. Progressivement, l’Union de l’énergie a été constituée. L’un de ses objets est d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, avec une préoccupation particulière pour la sécurité d’approvisionnement (TFUE, art. 194, § 1). Si des efforts conséquents ont été réalisés en diversifiant les sources énergétiques, notamment en investissant dans l’énergie renouvelable et demain dans l’hydrogène (Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, sur une stratégie de l’UE pour réduire les émissions de méthane, 14 oct. 2020, n° COM(2020) 663 final, v. ici), le gaz russe demeure encore primordial, plus spécifiquement pour l’Allemagne et les pays d’Europe de l’Est. Cette situation de dépendance est préjudiciable et elle interroge inévitablement sur les carences de cette politique, l’article 194, paragraphe 2 TFUE laissant aux États membres le soin de choisir librement leur « mix » énergétique. Cette faculté a conduit l’Allemagne à s’engager unilatéralement dans la construction d’un gazoduc Nord Stream 2, dont l’entrée en fonction est incertaine, voire impossible. Cette réalisation s’est faite au détriment d’un investissement vers d’autres sources énergétiques implantées sur le territoire de l’Union ;
— deuxièmement, la sécurité alimentaire est impactée et renvoie à la nécessité de préserver la politique agricole commune (PAC). La PAC fait l’objet de tensions permanentes entre États membres. Ainsi, les négociations sur la dernière réforme ont débuté en 2017 pour se conclure en novembre 2021. Cette politique, décriée pour son coût et ses difficultés à intégrer les exigences de développement durable, a d’autres objectifs, dont celui de garantir la sécurité alimentaire, en assurant l’autosuffisance de l’Union et la sûreté des produits. Le premier objectif a été progressivement délaissé, alors qu’il est en passe de s’imposer à nouveau, l’Ukraine comme la Russie étant des greniers à blé, dont l’accès paraît plus que menacé. Aussi cette crise devra-t-elle nécessairement nous interroger sur le prix que nous sommes collectivement prêts à payer pour garantir notre sécurité alimentaire ? La réponse implique une réflexion sur la place des aides directes aux agriculteurs, notamment, sur les conditions de leur pérennisation et sur l’accès aux produits à des prix raisonnables pour les consommateurs. Il s’agit plus largement de réfléchir sur les conditions d’une souveraineté alimentaire au niveau européen ;
— troisièmement, la sécurité en matière de défense s’invite à nouveau. L’Union reste largement dépendante de l’OTAN sur ce sujet. Elle reste encore orpheline de la Communauté européenne de défense, rejetée en 1954. La politique de sécurité commune actuelle demeure trop partielle, y compris après le traité de Lisbonne. Le conflit interpelle les États de l’Union, une nouvelle fois, sur une construction plus intégrée, fondée sur la définition d’objectifs propres, indépendamment des États-Unis. Les multiples initiatives restent insuffisantes, comme l’Initiative européenne d’intervention (IEI), lancée en 2018, dont l’objectif est de créer une structure militaire commune pour fixer des priorités stratégiques. Ces constructions ne sont pas à même aujourd’hui de répondre à une crise aiguë. En revanche, sur le plan diplomatique, l’Union européenne est plus active et audible par la voie de la Présidente de la Commission européenne et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Il est toutefois dommage que la France ait fait entendre sa voix, indépendamment de sa présidence de l’Union, alors même que l’usage de cette représentation aurait accentué les démarches engagées.
La guerre déclenchée par la Russie impose un certain nombre de défis à plus long terme à l’Union européenne, auquel pourrait se rajouter celui des flux migratoires. Ces défis nécessitent une intégration, afin de conserver une réelle indépendance et d’avoir une capacité plus grande de pression, ce qui manque manifestement à l’Union aujourd’hui, malgré les sanctions réelles qui ont été adoptées. Le temps n’est plus aux atermoiements.
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