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L’Union européenne, une proie ?
Les différentes prises de position du nouvel exécutif américain sont caractérisées par une acrimonie réelle à l’égard de l’Union européenne. Soyons magnanime, l'agressivité américaine ne lui est pas réservée. Le Canada et l’Amérique centrale sont également au centre des préoccupations pour des raisons qui peuvent apparaitre de nature différente.
En réalité, les préoccupations économiques sont chaque fois omniprésentes. Le futur Président américain, Donald Trump, n’a d’ailleurs jamais fait mystère de vouloir protéger l’économie américaine, à l’origine principalement l’industrie. La défense des intérêts américains s’étend aujourd’hui au-delà du secteur industriel pour embrasser le secteur des services numériques, en intégrant les enjeux autour de l’intelligence artificielle, et le secteur financier, dont les cryptomonnaies.
Pour le secteur des services numériques, les entreprises américaines sont directement confrontées à des règlements européens de régulation, dont le Règlement général de protections des données (RGDP - 2016), le Règlement européen sur les services numériques (DSA - 2022) et le Règlement sur les marchés numériques (DMA- 2022). Ces différents textes, aujourd’hui en vigueur, sont complémentaires. Ils visent expressément à protéger les données personnelles, à lutter contre les contenus illégaux et à instaurer plus de transparence entre les plateformes en ligne et leurs utilisations, mais également l’activité économique des grandes plateformes numériques au sein de l’Union européenne. Ces législations n’ont pas d’équivalents aux États-Unis et dans de nombreux États à travers le monde, même si la Chine souhaite largement s'en inspirer. Dans ces conditions, l’Union européenne constitue un frein réel aux activités des entreprises américaines, d'autant plus que les violations de ces textes peuvent amener à de lourdes amendes. C’est ainsi l’accès au marché intérieur de l’Union qui est rendu plus complexe, et constitue un frein à l’hégémonie économique américaine dans ce secteur. Nous sommes, dès lors, face à une concurrence des règles économiques et à la volonté de la future administration américaine de réduire la portée de ces règlements.
Les tensions commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne sont, en réalité, constantes depuis la création de la Communauté économique européenne. L’agriculture a été le premier conflit, empêchant la reconnaissance de la Communauté économique européenne au sein du GATT, ancêtre de l’OMC (Organisation mondiale commerce). D’autres conflits jalonnent les relations. L’acier, l’aviation, le régime des subventions ont été autant de raisons de bras de fer.
La situation est cependant sans doute différente en 2025, compte tenu des tensions internationales et de la montée des impérialismes chinois, russe, indien. L’Union européenne est elle-même perçue sous cet angle lorsqu’elle souhaite « imposer » ses valeurs autour des droits fondamentaux, de l’État de droit et de la démocratie dans le cadre d’accords internationaux ou de sa volonté d’envisager l’adhésion de nouveaux États. L’approche de Donald Trump vis-à-vis du canal de Panama, du Groenland et du Canada n’en est qu’une autre traduction. Dans cette logique de constitution d’empires, l’Union européenne pourrait constituer un rival à affaiblir. Dans cette perspective, les prises de position dans le cadre des élections à venir en Allemagne, par exemple, sont sans doute un moyen de fracturer l’Union européenne et de revenir vers des États nations moins puissants et en situation de dépendance.
Ces dernières manifestations et prises de position démontrent que l’Union européenne à vingt-sept membres demeure encore un acteur mondial. Cette situation ne pourra perdurer qu’à la condition qu’elle soit en mesure de défendre, au travers de ses institutions, des positions uniques, cohérentes et fortes sur les dossiers essentiels et de développer des politiques publiques dynamiques notamment dans la formation, la recherche et la défense.
En revanche, si les chefs d’État et de gouvernement européens n’ont pas le courage d’assumer une construction européenne étroite, l’Union deviendra alors une proie, un acteur mondial secondaire, sous influence, incapable de défendre ses valeurs. Dans le dialogue avec les Etats-Unis, le compromis ne pourra ainsi être le renoncement au cours des prochaines années. Les atermoiements de la Commission européenne sur les procédures actuellement en cours à l’encontre de plusieurs entreprises du secteur numérique américain doivent collectivement nous alerter pour continuer à défendre, au-delà de l’économie, nos valeurs. L’heure est à la prise de conscience.
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