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Le billet
L’Union se prend les pieds dans les filets de pêche
L’Union européenne se veut vertueuse en matière d’environnement, entre autres en matière de protection de la biodiversité (notamment maritime : Règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques).
Cette approche vaut plus largement pour la lutte contre le dérèglement climatique, ainsi que le traduit le paquet « Ajustement à l’objectif 55 ». Ce paquet transpose les ambitions du pacte vert, dont l’objectif de neutralité carbone pour 2050. Cette ambition environnementale partagée, pour être crédible, doit être une constante dans les actes adoptés et être déployée dans toutes les politiques communautaires. Or, la nécessaire cohérence de l’Union sur ce sujet semble être prise en défaut dans le secteur de la pêche à la suite d’une décision des institutions du 29 septembre 2022.
La biodiversité est en effet directement atteinte par cette décision maintenant une pratique de pêche qui fait débat : la « senne danoise », encore appelée « senne démersale ». Cette technique repose sur l’usage d’un long filet en forme de cône, dont la caractéristique est de soulever les sédiments afin de rabattre les poissons. Elle favorise une pêche en très grande quantité, très rentable, bien supérieure aux autres techniques, d’autant plus qu’elle attrape des espèces de poissons libres de tout quota. Elle épuise ainsi logiquement les ressources halieutiques sur les espaces maritimes concernés, attirant de fortes critiques à son égard.
Celles-ci se sont concrètement manifestées par deux types de mesures. Tout d’abord, ce fut son interdiction par les autorités françaises sur la zone des 12 milles marins d’Aquitaine, de Bretagne et de Normandie, son autorisation concernant seulement le nord de La Manche en France. Ensuite, le Parlement européen s’est saisi de cette question pour proposer une modification de l’article 5 du règlement (UE) nº 1380/2013 relatif à la politique commune de la pêche. Cet article permet de déroger à la règle générale d’égalité d’accès des navires de pêche de l’Union aux eaux et ressources de l’Union pour favoriser un autre type de pêche côtière plus traditionnel et plus compatible avec les ressources et donc d’interdire la « senne danoise ». Cet amendement a été voté pour la zone de la Manche par la commission des pêches du Parlement européen, le 12 juillet 2022.
Pour devenir une règle applicable, cet amendement d’initiative parlementaire devait être accepté par le Conseil de l’Union européenne dans le cadre du processus législatif. C’est ainsi qu’un comité de conciliation est établi avec des représentants du Parlement européen et du Conseil, auquel participe en plus la Commission, donnant lieu à un trilogue (discussion entre les trois institutions). L’amendement n’a finalement pas été retenu sous la pression du Conseil et de la Commission, le 29 septembre 2022. De son côté la France a préféré s’abstenir au moment du vote alors qu’elle était directement concernée, ce qui peut interroger sur le sens de la responsabilité politique.
Au-delà, ce rejet interroge d’autant plus qu’une interdiction avait été enfin décidée à compter du 1er juillet 2021 pour la pêche électrique, destructrice pour la faune et les fonds marins (règlement européen n° 2019-1241 préc.).
Cette position est l’expression plus large d’un choix entre la rentabilité économique et l’objectif de protection des ressources et de la biodiversité. Il est vrai que le secteur de la pêche est soumis à de fortes contraintes liées aux quotas, à l’inflation des coûts des carburants. La logique conduirait alors au soutien des bateaux usines et à retenir des techniques de pêche plus efficaces. Cependant, le choix retenu est en contradiction avec un objectif environnemental, impliquant un temps nécessaire au renouvellement des ressources et une exploitation raisonnée. Le droit ne peut pas toujours traduire un « en même temps », obligeant à assumer un choix. Si la biodiversité est bien un objectif de l’Union, partagé également par la France, le maintien de la « senne danoise » pourrait en faire douter.
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