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L’usage par le Gouvernement Borne du 49 al. 3 dans le domaine budgétaire, une question de timing
C’est à 1992 que remontait la dernière utilisation des dispositions de l’article 49, alinéa 3. Bien connues, ces dernières permettent au Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte. Le texte est alors considéré comme adopté sauf si une motion de censure, déposée dans les 24 heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues par le 2e alinéa de ce même article.
En matière budgétaire, le Gouvernement y avait eu recours à 18 reprises pour les lois de finances initiales et à 9 reprises pour les lois de finances rectificatives. Avec une palme décernée à Michel Rocard qui comptabilisait à lui seul, 12 utilisations du 49 al. 3 en matière de lois de finances.
C’est le Gouvernement Debré en 1959 qui utilisa ces dispositions pour la première fois avec le projet de loi de finances pour 1960. Et c’est Pierre Bérégovoy qui l’utilisa pour la dernière fois, jusqu’à aujourd’hui, avec le projet de loi de finances pour 1993 (à propos de la 2e partie de la loi de finances et sur l’ensemble du texte). Aucun gouvernement n’a été renversé durant cette période même si parfois les résultats ont pu être mitigés comme en 1990 à propos du projet de loi de finances pour 1991 (284 suffrages exprimés en faveur de la motion de censure sur 289 requis). Les modifications apportées à ce texte par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n’ont pas eu d’incidence sur la matière budgétaire. En effet, si la révision constitutionnelle a restreint la possibilité d’utiliser cet article en la limitant à un projet ou à une proposition de loi par session, en revanche les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale en ont été exclus ce qui permet au Gouvernement d’engager sa responsabilité sur ces textes, sans aucune limite.
C’est ainsi que le Gouvernement Borne en est à sa 4e utilisation du 49 al. 3 en à peine 15 jours :
■ le 19 octobre 2022 sur la 1re partie du projet de loi de finances pour 2023 ;
■ le 20 octobre 2022 sur la partie recettes du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ;
■ le 26 octobre 2022 sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ;
■ le 2 novembre 2022 sur la 2e partie et l’ensemble du projet de loi de finances pour 2023.
Très clairement, l’utilisation des dispositions de l’article 49 al. 3 interroge. Dans un usage général, certains y voient un déni de démocratie.
Le propos est, le plus souvent, relativisé lorsqu’il est appliqué aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale dont la particularité a pu justifier, en 2008, le maintien, sans limite, de la possibilité de recourir au 49 al. 3. Il n’en demeure pas moins qu’avec 4 utilisations sur la période récente (à raison de deux applications pour chacun des projets de lois financières), la pratique gouvernementale suscite quelques objections.
En effet, très clairement, le calendrier d’adoption des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale n’imposait pas, en cette période des débats parlementaires, un recours au 49 al. 3. Rappelons que les textes constitutionnel et organique offrent d’autres options que le 49 al. 3 pour gérer une situation au terme de laquelle l’État ne serait pas doté de son budget.
La Constitution, tout d’abord, en son article 47 permet au Gouvernement de mettre en vigueur les dispositions du projet de loi de finances par ordonnance si le Parlement ne s’est pas prononcé dans le délai de 70 jours imparti pour l’adoption de ce projet. Il en va de même pour les projets de lois de financement de la sécurité sociale en application des dispositions de l’article 47-1 de la Constitution au terme du délai de 50 jours prévu pour l’adoption de ce projet de loi. Précisons que cette option prévue par la Constitution n’a jamais été utilisée à ce jour.
Le texte organique ensuite. S’agissant des lois de finances, la loi organique du 1er août 2001 envisage plusieurs scenarii aux termes desquels le Gouvernement a la possibilité de gérer les éventuels retards constatés dans les débats parlementaires accompagnant l’adoption du projet de loi de finances initiale. Ainsi, en cas de retard constaté, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale, avant le 11 décembre de l’année qui précède le début de l’exercice, d’émettre un vote séparé sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances de l’année. Ce projet de loi partiel est ensuite soumis au Sénat selon une procédure permettant de finaliser rapidement l’opération.
Le texte organique organise une autre procédure que le Gouvernement a la possibilité de déclencher pour le 19 décembre (soit parce que la procédure déclenchée au 11 décembre n’a pas abouti, soit parce qu’elle n’a tout simplement pas été déclenchée) : il est alors tenu de déposer pour le 19 décembre de l’année qui précède le début de l’exercice, un projet de loi spéciale l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année. La LOLF prévoit également l’hypothèse où la loi de finances ne peut être promulguée ni mise en application parce qu’elle aurait été censurée par le Conseil constitutionnel à l’occasion de son contrôle de constitutionnalité : le Gouvernement est alors tenu de déposer immédiatement devant l’Assemblée nationale un projet de loi spéciale l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année.
Ces procédures ont déjà été appliquées :
■ les faits marquants de l’année 1962 ont entraîné un retard dans l’adoption de la loi de finances pour 1963 qui n’a, finalement, été adoptée qu’en février 1963 (L. n° 63-156 du 23 févr. 1963) ;
■ en 1979 à la suite de la censure constitutionnelle de la loi de finances pour 1980, un projet de loi spécial est d’abord adopté (L. n° 79-1159 du 30 déc. 1979 autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes) suivi de la loi de finances en janvier 1980 (n° 80-30 du 18 janv. 1980).
Ces procédures n’économisent pas l’adoption du reste du texte mais laissent plus de temps aux parlementaires pour discuter du contenu de ces projets de lois. Très clairement, en raison des particularités de la matière et des procédures budgétaires, le Gouvernement avait la possibilité de ne pas écourter, prématurément, les débats parlementaires.
Rappelons que l’usage du 49 al. 3 par le Gouvernement Borne l’a été durant la 2e quinzaine du mois d’octobre. On peut considérer qu’il n’y avait pas urgence à adopter le texte financier et que le Gouvernement pouvait, sans difficulté, laisser du temps aux débats parlementaires. D’autant plus lorsque l’on sait avec quelles précisions, le législateur organique a organisé les manières de gérer des éventuels retards dans l’adoption du projet de loi de finances. Il était donc possible pour le Gouvernement de laisser ce temps démocratique au Parlement et d’attendre quelques semaines, avant de s’inquiéter d’un éventuel retard et d’utiliser les outils que le texte organique a mis à sa disposition.
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