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Le billet
Manuel de survie à l’usage d’un gouvernement minoritaire
Ah quelle était belle la vie d’un gouvernement majoritaire ou presque majoritaire : on votait des budgets dans l’allégresse, on réformait les retraites dans la joie, on décrétait dans l’insouciance. Oui, c’est vrai, elle était belle la vie d’un gouvernement majoritaire. Mais c’est fini tout cela et maintenant on va bien avoir besoin d’un manuel pour essayer de survivre quelques temps.
Premier conseil : ne jamais se séparer d’une Constitution à jour, accompagnée de ses lois organiques et de sa jurisprudence (un code annoté de couleur rouge pourra faire l’affaire, évidemment).
Oh oui, vous en aurez bien besoin, parce que vous allez découvrir petit à petit toutes les ressources insoupçonnées de ce texte mais aussi tous les petits pièges qu’il dissimule. Vous avez déjà commencé à y goûter d’ailleurs ; Par exemple, cette exquise rédaction de l’article 8 : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». Oui oui, vous aurez beau démissionner, il ne se passera rien si « il ne met pas fin à vos fonctions ». Vous verrez, il y a plein d’autres petites astuces du même genre comme nous allons le voir.
Deuxième conseil : présenter le moins de projets de loi possibles.
Vous êtes minoritaire. Chaque projet de loi que vous présentez s’accompagne de l’achat d’un gros stock de cierges que vous ferez brûler en priant pour que votre gauche et votre droite ne s’associent pas pour le rejeter. Et même le célèbre article 49-3 ne servira pas à grand-chose parce que la menace de la motion de censure planera. Mais ne vous inquiétez pas il existe moultes solutions pour contourner ce problème. D’abord, n’hésitez pas à utiliser les parlementaires qui vous soutiennent, à l’Assemblée comme au Sénat, pour leur faire déposer des propositions de loi que vous aurez cependant largement rédigées. Si elles ne sont pas votées vous n’en supporterez pas l’opprobre. Si elles le sont, vous en tirerez une partie de la gloire.
Ensuite, pensez à cet article 37 al. 2 qui institue une procédure de « délégalisation ». Délégalisation qui permet de modifier par décret une loi qui a empiété sur les compétences du pouvoir réglementaire. Or, dans l’allégresse des gouvernement majoritaires, de très nombreux textes législatifs empiètent sur les compétences réglementaires et il est possible de beaucoup modifier en passant par cette procédure.
Enfin, ne sous estimez pas les ressources du droit européen. Tous ces règlements, toutes ces directives qui doivent être appliqués ou transposés en droit interne. Ne faites rien (en plus l’Europe c’est toujours un sujet qui énerve les extrêmes), et hop, par la grâce de la hiérarchie des normes, le droit interne qui leur est contraire sera invalidé.
Troisième conseil : être bons camarades entre membres de l’exécutif.
Dans cette Constitution que vous portez toujours sur vous, il y a 2 articles redoutables au quotidien : 19 et 22. Ils parlent de quelque chose dont le vocabulaire est un peu désuet mais la pratique redoutable : le « contreseing » : tous les actes du Président de la République, réglementaires ou de nominations doivent être contresignés par le Premier ministre et les « ministres responsables », et tous ceux du premier ministre par « les ministres chargés de leur exécution ». N’entrons même pas dans l’interprétation de cette nuance rédactionnelle, le recueil des arrêts du Conseil d’Etat vous renseignera fort bien sur ce sujet. Mais arrêtons-nous juste sur ce joli mot « contreseing ». Un acte qui ne porterait pas un des contreseings requis est irrémédiablement illégal.
Ce n’est pas sans rappeler la théorie des jeux : c’est la coopération qui est la plus avantageuse. Si tu me contresignes mon décret, je te contresigne le tien. Par contre, si tu ne me le contresignes pas, et bien le tien restera rangé dans le placard des projets. Mais la théorie des jeux n’exclut pas un peu de poker menteur : alors ça non jamais je ne le contresignerai ! Bon, si tu me contresignes tout mon paquet de décrets, alors peut-être je ferai un effort. Et surtout n’oubliez pas que dans ce jeu, il y a un ministre qui est plus fort que les autres, c’est le Ministre de l’Economie et des Finances : dès que l’on dépense de l’argent, il est « responsable » ou « chargé de l’exécution » (je simplifie mais l’idée est là). Il faut donc être tout particulièrement bon camarade avec lui !
Quatrième conseil : ne pas trop s’inquiéter des juges constitutionnels et administratifs
Quand vous lisez les dispositions de votre Constitution, dont les pages commencent à être jaunies et cornées à force de manipulations, relatives au vote des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, vous pouvez sérieusement vous inquiéter sur le risque de rejet de votre projet de budget par l’union des oppositions. Mais rassurez-vous, il y a une série de ressources argumentatives pour justifier de pouvoir adopter un budget sans majorité, par ordonnance, et ce sera aux juges qu’il appartiendra de trancher. Et ici, n’en doutez pas, l’argument de la « continuité de l’Etat » sera d’une particulière force face à un juge qui serait en situation d’annuler une ordonnance ayant adopté le budget. Dans le pire des cas, il prononcera une annulation avec un effet différé ce qui vous amènera tranquillement jusqu’à la prochaine dissolution.
Cinquième conseil : ne pas trop écouter les conseils.
Evidemment, comme tout cela est tout neuf et jamais expérimenté, personne ne sait exactement ce qui va se passer. Alors plutôt que d’écouter des conseils forcément approximatifs et qui ne demandent qu’à être démentis, le mieux est de se concentrer sur l’essentiel : bien gouverner !
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