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Mediator et problèmes cardio-vasculaires : les experts n’ont pas de cœur !
Le scandale du Mediator, médicament destiné aux diabétiques en surpoids également commercialisé comme un simple coupe-faim, est de nouveau sous les feux de la rampe. Après les actions engagées devant le tribunal correctionnel contre les laboratoires Servier dont le procès s’est ouvert le 14 mai 2012, l’affaire fait de nouveau parler d’elle à la suite du rejet de près de 80 % des dossiers déjà examinés par la Commission d’indemnisation, selon les révélations en octobre 2012 du docteur Courtois, président de l’Association d’aide aux victimes du Mediator.
Ce médicament fabriqué par les laboratoires Servier serait à l’origine de nombreux morts à la suite de problèmes cardio-vasculaires, entre 500 et 2000 selon les experts pendant les 33 ans de sa commercialisation (1976 à 2009). Après avoir été retiré du marché en novembre 2009 en raison des risques cardiaques encourus par les patients, le ministre de la Santé de l’époque, Xavier Bertrand, pour garantir une indemnisation rapide et juste, a créé en juillet 2011 un fonds d’indemnisation des victimes du Mediator au sein de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux. Aujourd’hui, le président de l’Association d’aide aux victimes du Mediator, dont les propos sont confirmés par le journal Le Parisien, dénonce le rejet de plus de 80 % des 830 dossiers déjà examinés par les experts mandatés par le ministère de la Santé, sur un total de 7 500 dossiers déjà déposés. Selon les experts, le « lien de causalité certain entre la prise du Mediator et la pathologie valvulaire » n’est pas établi. Les experts ont relevé l’existence d’autres causes possibles des problèmes cardio-vasculaires : âge avancé des victimes, prise d’anti-migraineux pouvant entraîner des problèmes cardiaques, etc.
Cette « nouvelle affaire » du Mediator constitue, sans jeu de mots, un véritable laboratoire des problèmes posés par l’emprise du dogme du marché dans le domaine de la santé et par la dictature des experts. Laissons de côté le problème récurrent du lobbying de ces multinationales plus puissantes que les États, lobbying auquel semblent s’être livrés, selon Le Figaro, les laboratoires Servier. Si ce jeu d’influence a permis d’obtenir la modification, en 2011, du rapport du Sénat, il s’est en revanche révélé sans effet lors du vote de la loi créant le fonds d’indemnisation des victimes du Mediator. Un seul aspect de la question sera abordé : la relation entre les experts et le droit.
Inutile de rentrer dans la polémique et seule la dimension juridique de l’affaire importe ici.
Le rejet de 80 % des demandes d’indemnisation est fondé à la fois sur l’absence d’un lien de causalité certain et sur l’absence d’un préjudice suffisamment grave. La voix des experts a été déterminante, alors qu’ils semblent avoir adopté une conception particulièrement restrictive à la fois du lien de causalité et du préjudice.
Concernant le lien de causalité, il convient de rappeler aux experts mandatés que le droit à ses raisons que la raison scientifique ignore. En effet, la vérité scientifique n’est pas la vérité juridique. Il est établi depuis un arrêt rendu par la première chambre civile du 22 mai 2008 à propos de l’affaire du vaccin contre l’hépatite B et les cas de sclérose en plaques (Civ. 1re, 22 mai 2008), que l’absence de lien de causalité scientifique n’exclut pas tout lien de causalité juridique (v. récemment, Civ. 1re, 26 sept. 2012). Juridiquement, les juges peuvent ainsi se contenter d’un faisceau d’indices, présomptions graves, précises et concordantes au sens de l’article 1353 du Code civil. Parmi les indices relevés par les juges figurent fréquemment la concomitance ou quasi-concomitance des événements et l’absence d’autres explications. Il est alors étrange que les experts fondent le rejet des dossiers sur l’absence d’un lien de causalité certain. Peut-être n’est-ce qu’une maladresse et il est plus probable que l’existence d’autres explications possibles soit à l’origine de ce rejet. Les arguments relatifs à l’âge avancé de certaines « victimes », cause de valvulopathies légères, et à la prise de médicaments anti-migraineux prendraient alors tout leur sens.
Autre maladresse des experts : le Mediator peut être à l’origine de valvulopathies graves menaçant la vie des patients. En revanche, les valvulopathies légères ne seraient pas une cause de mortalité ce qui a fondé le rejet de certains dossiers selon le docteur Irène Frachon qui le déplore. De nouveau, les experts sont peu au fait du droit car la mort n’est pas le seul préjudice indemnisable. En vertu du principe de réparation intégrale, tous les préjudices doivent être indemnisés. Or, avoir été traité par un médicament qui peut avoir des conséquences mortelles, n’est-ce pas en soi sinon un préjudice d’angoisse, qui peut être réparé même de manière symbolique, du moins un effet néfaste qui n’a pas fait l’objet d’une information claire et précise et qui constitue, en s’inspirant de la jurisprudence la plus récente, notamment des arrêts du 12 juin 2012 et du 12 juillet 2012, un manquement au droit au respect à l’intégrité physique de l’article 16-3 du Code civil dont le consentement libre et éclairé du patient serait la pierre angulaire ?
En attendant que le fonds d’indemnisation se prononce sur la recevabilité des autres dossiers, il n’est pas inutile de lui rappeler que la frontière entre la démocratie et la dictature des experts est ténue. Face à un scandale sanitaire, il est du devoir du fonds d’indemnisation de rappeler que le doute profite à la victime !
Références
■ Civ. 1re, 22 mai 2008, nos 06-10.967, 05-20.317, 05-10.593, 06-14.952, 06-18.848, D. 2008. 1544, obs. I. Gallmeister.
■ Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-17.738.
■ Civ. 1re, 12 juin 2012, n°11-18.928, 11-18.327.
■ Civ. 1re, 12 juill. 2012, n°11-17.510.
■ Code civil
« Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui.
Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. »
« Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol. »
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