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« Mittal gagnant » : coup de froid dans le secteur de la sidérurgie !
En période de crise, l’État peut-il utiliser l’outil des nationalisations pour venir en aide aux employés désemparés d’une usine dont le patron souhaite arrêter toute activité ? Telle est la question qui a passionné l’ensemble des media ces dernières semaines. À l’issue de ce bras de fer entre Arcelor-Mittal, les syndicats et l’État, une nationalisation a d’abord été envisagée puis abandonnée. Malgré les annonces très (trop) médiatisées d’un Arnaud (de) Montebourg en quête de légitimité populaire, seul un accord d’investissement de près de 180 millions d’euros a pu être négocié avec le « sulfureux » Lakshmi Mittal, président du groupe. Cette affaire permet de faire le point sur deux questions essentielles : la nationalisation était-elle réellement envisageable ? L’accord ainsi obtenu n’est-il pas un « faux-nez » dépourvu de tout effet juridique ?
Les faits à l’origine de cette polémique sont, malheureusement, d’une grande banalité. Depuis 2006, différents sites du secteur de la sidérurgie, notamment celui de Florange, connaissent des difficultés croissantes. Depuis quelque temps, Lakshmi Mittal a manifesté sa volonté d’abandonner le site en refusant tout rachat par un éventuel repreneur. Arnaud (de) Montebourg en a alors fait son cheval de bataille, parvenant même à trouver un repreneur sérieux. Finalement, l’État, après avoir menacé Arcelor-Mittal d’une nationalisation, est parvenu à un accord qui n’est pas au goût de tous, et spécialement des syndicalistes.
■ L’éviction de toute nationalisation
L’État avait d’abord envisagé, pour ne pas dire menacé, de procéder à une nationalisation de l’entreprise, option à laquelle les syndicats étaient très favorables. La nationalisation est « une modalité juridique d'acquisition de la propriété exercée par et pour l'État en vertu de laquelle une entreprise passe de la propriété privée à la propriété publique » (v. O. Beaud). Cette modalité a connu un certain succès après 1945 et après l’élection de François Mitterrand en 1981. Concernant l’affaire Arcelor-Mittal, elle aurait consisté pour l’État à racheter les sites de production détenus par Mittal en France.
Finalement, cette solution a été abandonnée par le gouvernement suscitant une réaction assez virulente des syndicats et une forte déception d’Arnaud (de) Montebourg qui avait menacé de quitter le gouvernement ! L’État a choisi la voie conventionnelle. Mais aurait-il pu aller au bout du processus de nationalisation ?
Juridiquement, les conditions pouvaient être réunies. Portant atteinte à la liberté d’entreprendre, la nationalisation doit être justifiée et proportionnée. Le Conseil constitutionnel vérifie si la nationalisation correspond à une « nécessité publique » au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l'homme (Cons. const. 16 janv.1982, spéc. cons. 19 et 20). La lutte contre la crise économique a été considérée, à l’époque, comme un motif suffisant. Quant au droit européen, rien ne s’oppose à ce que l’État nationalise certaines sociétés à condition que cela ne puisse pas être analysé comme une violation du principe de libre concurrence entre les entreprises.
Politiquement, en revanche, nationaliser aurait été ouvrir la boîte de Pandore. En effet, comment justifier que cette entreprise soit nationalisée et que d’autres dans la même situation, dans le passé ou à l’avenir, ne bénéficient pas du même traitement de faveur ? L’option de la nationalisation est également économiquement intenable. L’opération aurait été un très mauvais investissement car n’oublions pas que l’État aurait dû verser une indemnité raisonnable aux actionnaires d’ Arcelor-Mittal. Est-il opportun pour un État endetté de reprendre une entreprise abandonnée par son propriétaire pour son manque de compétitivité ? On peut en douter quand on voit que le niveau mondial de l’emploi dans le domaine de l’acier ne cesse de s’effondrer depuis les années 1980.
En somme, moralement l’initiative est vertueuse ; économiquement elle est plus que périlleuse. À défaut d’une mauvaise nationalisation, il fallait se contenter d’un bon accord. Tel a été le bon calcul de Mittal…
■ La conclusion d’un « accord »
Un accord a finalement été conclu entre l’État et Arcelor-Mittal qui, loin d’être conforme au principe du « donnant-donnant » (v. E. Dockès) ou du « gagnant-gagnant », profite sinon exclusivement, du moins essentiellement à l’entreprise de M. Lakshmi Mittal. Le Monde a publié le 4 décembre 2012 le contenu de cet accord crucial qui ne tient qu’en deux pages. Or, il s’avère très succinct et les engagements de Mittal sont fort peu… engageants ! Selon cet accord, 180 millions d'euros d'investissement sur cinq ans ont été promis par Arcelor-Mittal. En réalité, seuls 53 millions d’euros seront consacrés aux « investissements stratégiques » et le reste sera consacré aux « flux d'investissements courants, les investissements de pérennité, santé, sécurité et progrès continu, et la maintenance exceptionnelle », sorte de fourre-tout librement déterminé par son débiteur. L’objet de ce contrat est tellement large et laisse une marge de manœuvre tellement importante à Arcelor-Mittal qu’on peut s’interroger sur la validité d’un tel accord. S’il s’agit d’un véritable contrat, les civilistes ne manqueront pas d’en relever le caractère potestatif, objet indéterminé ou indéterminable, pour en justifier la nullité (C. civ., art. 1129). D’autres engagements plus précis ont été pris par Arcelor-Mittal : aucun plan social (ce qui ne veut pas dire aucune suppression d’emplois) et maintien des hauts-fourneaux « sous cocon » en attendant la réalisation du projet, aujourd’hui menacé, de captage-stockage de CO2 Ulcos sur le site.
Si « accord » il y a, quelle est sa nature juridique : engagement d’honneur (Com. 23 janv. 2007), engagement unilatéral de volonté (v. par ex. en droit du travail, Soc. 2 mai 2001), accord collectif, quasi-contrat (pour une offre de reprise, Com. 26 oct. 1999) ? Le temps de la qualification-spéculation est ouvert ! À vrai dire, cet accord n’a de contractuel que le nom. N’est-ce pas la raison pour laquelle le 6 décembre, le président François Hollande a dû abuser du jeu de la rhétorique pour renforcer la légitimité d’un accord purement symbolique ? Les engagements seront « tenus » ; le gouvernement se porte « garant »…
Ce triste épisode confirme, spécialement dans la sphère politique, que dire le contrat n’est pas forcément faire un contrat (dans le domaine économique, v. M. Latina) et l’affaire Mittal n’est pas un cas isolé. Il suffit de rappeler la polémique des contrats PARE, plan d’aide au retour à l’emploi, qui avaient, à leur époque, suscité une vive polémique (est un contrat : Aix-en-Provence, 9 sept. 2004 ; n’est pas un contrat : Paris, 21 sept. 2004). Cependant, ces « faux contrats » avaient au moins le mérite d’avoir une force pédagogique, rappeler la loi, et/ou symbolique, rassurer les destinataires. Or, ici, la fonction symbolique du « contrat » fait défaut et les syndicats manifestent leur déception.
Finalement, les syndicats doivent se contenter d’un accord où Mittal sort comme le grand gagnant. Selon les experts, il aurait fallu près de 400 millions d’euros pour espérer pouvoir sauver le site. Les syndicats deviennent aujourd’hui de plus en plus virulents et ne souhaitent qu’une chose : le départ de Mittal. Il ne serait pas étonnant d’en trouver quelques-uns chantonner ce refrain célèbre du chanteur Renaud : « toi tu me fous les glandes, puis t’as rien n’à foutre dans mon monde, arrache-toi d’là t’es pas de ma bande, … ». À méditer !
Références
■ O. Beaud, « Nationalisation et souveraineté. La nationalisation comme acte de puissance », LPA 24 novembre 1995 n° 141, p. 11.
■ Article 17 de la Déclaration des droits de l'homme
« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
■ Cons. const. 16 janv.1982, no 81-132 DC, Rec. p. 18. V. spéc. cons. 19 et 20.
■ E. Dockès, « Un accord donnant, donnant, donnant… », Dr. soc. 2008. 280 et s.
« Il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce.
La quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle puisse être déterminée. »
■ Com. 23 janv. 2007, n° 05-13.189, RTD civ. 2007. 340, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Soc. 2 mai 2001, n°99-41.264.
■ Com. 26 oct. 1999, n°96-20.396, JCP E 2000, p. 127, n° 7, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel.
■ M. Latina, « Le Nutella, l’huile de palme et les codes de bonne conduite », Dalloz Actu Étudiant, « Le Billet », 26 nov. 2012.
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