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Notariat : le droit d’installation des tirés au sort emporte-t-il droit de présentation d’un successeur ?
L’article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a notamment réformé les modalités d’attribution du titre de notaire. En vertu de ce texte, « Les notaires (…) peuvent librement s’installer dans les zones où l'implantation d’offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l’offre de services ». Les zones d’installation ont été déterminées par arrêtés du 20 septembre 2016. Les candidats doivent postuler par voie numérique, sont départagés par horodatage et le choix final est le résultat d’un tirage au sort.
Un grand nombre de candidats a été tiré au sort et d’autres viendront très vite dans les mois à venir (bilan « net » qui s’élève à 668 nouveaux offices et à 633 nouveaux notaires). Tous les chanceux ne sont pourtant pas totalement satisfaits. Certains auraient aimé une autre zone géographique plus proche de leurs intérêts professionnels et personnels et échangeraient bien avec un autre confrère tiré au sort. D’autres ne souhaitent finalement plus bénéficier du tirage au sort et se demandent s’ils peuvent céder, à titre onéreux ou à titre gratuit, le « droit » ainsi attribué.
La question est sensible et la qualification du « droit » ainsi attribuée est déterminante. L’objectif de cet édito n’est pas de fournir une réponse clef en mains mais de trouver une solution raisonnable et équitable. C’est actuellement dans le dialogue que s’effectue la recherche de ce juste milieu. Le but de ces quelques lignes est de poser les données du problème et de mettre en lumière les différentes voies qui pourraient être empruntées. Pour ce faire, il convient de qualifier juridiquement le droit accordé aux nouveaux entrants et de déterminer les actes dont il pourrait être l’objet. La nature du « droit » conditionne la validité des actes.
La nature du « droit ». Le choix qui a été fait par les pouvoirs publics d’attribuer des offices par tirage au sort est sans précédent. Personne ne pouvait imaginer que les bénéficiaires allaient faire naître une difficulté juridique des plus passionnantes : quelle est la nature du droit qui leur a été accordé ? Le notaire, associé ou attributaire par concours d’une étude, peut exercer sa profession d’officier ministériel, ouvrir des locaux, constituer une équipe de travail en vue de la constitution d’une clientèle. Officier public et ministériel, l’activité du notaire repose sur l’existence d’un titre. Ce titre est incessible et hors du commerce comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation (Civ. 1re, 20 oct. 1993, n° 91-21.868). Indépendamment du titre, la jurisprudence a attribué aux notaires la possibilité de « monnayer », mode de raisonnement autrefois appliqué aux clientèles civiles en général, son droit de présentation. Le notaire se fait rémunérer pour la présentation de son successeur à l’autorité publique compétente. Ce droit de présentation peut faire l’objet d’une convention, y compris à titre onéreux (Civ. 1re, 24 mai 1978, Gaz. Pal. 1978, pan. 335). Ce droit pour le notaire de présenter un successeur à l’autorité publique constitue « un droit patrimonial qui peut faire l’objet d’une convention régie par le droit privé ». Le contrat, en raison de l’aléa afférent à l’autorisation administrative qui peut être refusé, fait uniquement naître une obligation de faire. Ce droit de présentation a d’ailleurs été sacralisé par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 21 nov. 2014, n° 2014-429 QPC). Certains pensent à tort que ce droit attribué au notaire tiré au sort pourrait être analysé comme un droit de présentation pouvant faire l’objet d’une convention régie par le droit privé. Cependant, le droit de présentation des tirés au sort peut-il exister avant même tout exercice de la profession ? Peut-il y avoir un droit de présentation sans clientèle ? L’existence d’une clientèle potentielle, même dans une zone très active et dynamique tel qu’un bel arrondissement parisien, peut-elle suffire à justifier la patrimonialisation d’un droit de présentation ?
Une autre analyse est alors envisageable car la qualification de droit de présentation n’a pas été pensée pour ce cas de figure. La situation étant nouvelle, la nature du droit doit être repensée. Il paraît excessif d’accorder à celui qui a été tiré au sort un droit de présentation et ainsi une possiblité de se faire rémunérer de la présentation de son successeur. En revanche, il serait erroné de dire du tiré au sort qu’il est dépourvu de tout droit. Le tiré au sort est titulaire d’un vrai droit qui lui attribue le pouvoir d’exercer une profession réglementée dans une zone déterminée, droit qui peut être protégé et revendiqué. Cependant, cette prérogative juridique ne se confond pas avec le droit de présentation. Il s’agit plus exactement d’un droit nouveau, d’un droit d’installation.
La validité des actes. A l’aune de ces deux qualifications, quels sont les actes qui peuvent être accomplis ?
Si on admet que le droit attribué aux nouveaux entrants est un droit de présentation, quel type d’actes peuvent-ils réaliser ? La première hypothèse serait une convention à titre onéreux. Cependant, quelle serait la valeur patrimoniale d’un tel droit alors qu’aucune activité n’a encore été exercée (locaux, actes, clientèles constituées…) ? Plusieurs analyses sont possibles.
On peut tout d'abord considérer que le droit de présentation n’a aucune autonomie. Il doit être rattaché au titre et à l’office et est ainsi dépourvu de toute valeur patrimoniale autorisant sa patrimonialisation (en ce sens, B. Beignier et B. Bernabé, « Office, charge et fonds : notions distinctes », JCP N 2012, 1362). La convention serait alors nulle en raison de l’illicéité de sa « prestation », de l’illicéité de son « objet ». On peut, de manière plus modérée sans nier son autonomie par rapport au titre, soutenir que la clientèle civile est un élément inextricablement lié au droit de présentation. N’est-ce pas d’ailleurs pour pouvoir céder une telle clientèle civile que la jurisprudence a créé ce droit de présentation pour les activités libérales ? La convention serait ici nulle pour absence de prestation, absence d’objet. On peut relativiser cette analyse. En effet, le droit de présentation peut ne pas être perçu comme une cession de clientèle déguisée. Le droit de présentation peut exister indépendamment de la clientèle. La convention a pour objet une obligation de faire, présenter la candidature à l’autorité publique compétente, convention « aléatoire » expliquant que la convention soit souvent assortie d’une condition suspensive (V. sur cette subtilité, G. Loiseau, "Typologie des choses hors du commerce", RTD. civ. 2000. 47 et P. Reigné "L’avenir d'une fiction juridique : le particularisme des clientèles des professions libérales", in Mélanges F. Terré, Dalloz, 1999, p. 599). Enfin, dans une conception plus libérale et en admettant que la clientèle civile n’est pas un élément essentiel du droit de présentation, elle reste un élément principal dans l’évaluation économique du droit de présentation. Sans clientèle réelle, la valeur patrimoniale du droit de présentation se réduit à un montant relativement modeste voire symbolique. Dans ce dernier cas, la convention ayant pour objet le droit de présentation n’est pas exclue mais le prix serait modique, à moins qu’un juge admette dans ce cas précis, en raison de la singularité de ce droit, que l’emplacement du tiré au sort et la clientèle potentielle constituent un élément attribuant toute sa valeur au droit de présentation !
Quelle que soit l’analyse, il appert qu’attribuer un droit de présentation ayant une valeur patrimoniale aux tirés au sort n’ayant pas encore exercé leur profession est juridiquement fragile et éthiquement inacceptable.
En revanche, si on veut bien admettre que le droit attribué aux tirés au sort n’est pas encore un droit de présentation, mais un droit d’installation, une analyse plus cohérente peut être proposée. Ce droit d’installation est une autorisation administrative d’exercer une profession avant tout exercice effectif. Ce droit n’est pas hors commerce mais est pourvu d’une cessibilité limitée. N’ayant pas de valeur patrimoniale, il peut uniquement faire l’objet d’un échange avec un autre droit de même nature. Si une convention peut donc être envisagée, elle ne peut être qu’une convention d’échange de droits entre tirés au sort, échange sans soulte.
Cependant, dès lors qu’il s’agit d’un droit à cessibilité limitée, attribué par une autorité publique et conditionnant l’exercice d’une profession réglementée, il serait bon que les instances dirigeantes et le ministre de la justice en déterminent précisément le régime juridique.
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