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Notariat : us et coutumes contre mérite républicain
Dans la bataille qu’il mène désormais contre la réforme de l’accès à sa profession, le notariat a remporté une première manche grâce à la clémence du Conseil constitutionnel, saisi, via une QPC, par un diplômé notaire qui, depuis des années, cherche en vain à devenir notaire.
Pour faire valoir ses intérêts, l’impudent contestait la règle ancienne, sinon archaïque, selon laquelle le diplôme de notaire, délivré par l’Université, est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour accéder au titre de notaire. La seconde condition, exigée par une loi de 1816, réside dans un droit de présentation qui confère aux notaires titulaires le droit de présenter leur successeur à « Sa majesté » (Louis XVIII à l’époque, pour les nuls en histoire). Selon le requérant, ce droit de présentation méconnaîtrait le principe d’égalité admissibilité aux « dignités, places et emplois publics », garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Que nenni, lui réplique le Conseil, dans sa décision du 21 novembre dernier (à la grande joie des instances du Notariat qui, par voie de presse, avait déjà prévenu que la facture à payer en cas de modification des règles d’installation dans la profession serait de 8 milliards d’euros), sous la forme du syllogisme suivant !
Majeure : l’article 6 de la DDHC, qui affirme le principe d’égalité de tous les citoyens, leur permet d’accéder à toute dignité, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Mineure : les notaires sont des officiers publics qui « exercent une profession règlementée dans un cadre libéral », qui « participent à l’exercice de l’autorité publique et ont ainsi la qualité d’officier public », mais n’occupent pas des dignités, places et emplois publics.
Conclusion : le droit de présentation dont les notaires sont titulaires ne méconnaît pas le principe garanti par l’article 6 de la DDHC.
Reprenons !
Les notaires, donc, sont des officiers publics mais… n’occupent pas un emploi public. La solution ne coule pas de source. Dans un rapport de 2002, l’Observatoire de l’emploi public, pour cerner la notion éponyme, avait considéré que deux acceptions pouvaient en être retenues dont, « dans une approche large », celle englobant « l’ensemble des personnels exerçant une mission de service public ou d’autorité publique » (p. 23). Passons…
Délaissons, désormais, la technique juridique pour apprécier la pertinence de la requête du diplômé notaire, et celle de ceux qui considèrent que la compétence juridique, certifiée par l’Université au terme d’un long et difficile parcours, ne constitue pas le « sésame ouvre-toi ! » de l’accès à la profession de notaire.
Pour les instances du Notariat, ce droit de présentation est légitime parce qu’il permet à la Chancellerie (qui a été substituée à « Sa Majesté ») de contrôler la qualification et l’honorabilité du candidat notaire, ainsi que l’équilibre économique de son installation, et au cédant de vérifier les qualités subjectives ( ?) du candidat… Fort bien ! Sauf que chacun sait qu’il est extrêmement rare que la Chancellerie oppose un refus au candidat discrétionnairement choisi par le notaire cédant pour lui succéder, et qu’il n’est un secret pour quiconque que ce droit est assez souvent exercé par le cédant au profit de ses enfants (dans 20 % des cas, environ).
Nul n’est donc besoin d’être grand clerc pour comprendre que ce droit de présentation constitue, de facto, un obstacle à l’accès à la profession de notaire pour des jeunes diplômés dont la compétence juridique est pourtant avérée. On ajoutera que ce droit de présentation n’existe pas en Alsace-Moselle, où les notaires sont recrutés par concours, sans que cela emporte le moindre effet néfaste.
On peut aussi s’interroger sur la réalité de la facture, quant à son principe et à son montant, qu’emporterait la liberté d’installation qui pourrait être reconnue aux diplômés notaires, comme elle l’est aux diplômés avocats. Que l’on sache, les études de notaires ne disparaîtront pas, au contraire naguère des avoués, elles seraient simplement soumises à une plus forte concurrence ! Encore faudrait-il donc, pour prétendre à une indemnisation, que les notaires en place prouvent un préjudice légitime…
Autant de raisons, finalement, de penser qu’en République, le Notariat ne perdrait rien, bien au contraire, à retenir comme critère d’accès le seul mérite de ceux qui prétendent le rejoindre, plutôt que ce droit de présentation qui répond aux us et coutumes d’une époque royale, aujourd’hui révolue.
Références
■ Cons. const. 21 nov. 2014, n°2014-429 QPC.
■ Article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances
« Les avocats à la Cour de cassation, notaires, greffiers, huissiers, prestataires de service d'investissement, courtiers, commissaires-priseurs pourront présenter à l'agrément de Sa Majesté des successeurs, pourvu qu'ils réunissent les qualités exigées par les lois. Cette faculté n'aura pas lieu pour les titulaires destitués. Les successeurs présentés à l'agrément, en application du présent alinéa, peuvent être des personnes physiques ou des sociétés civiles professionnelles.
Il sera statué, par une loi particulière, sur l'exécution de cette disposition, et sur les moyens d'en faire jouir les héritiers ou ayants-cause desdits officiers.
Cette faculté de présenter des successeurs ne déroge point, au surplus, au droit de Sa Majesté de réduire le nombre desdits fonctionnaires, notamment celui des notaires, dans les cas prévus par la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat. »
NOTA : L'article 76 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 abroge le présent document en tant qu'il concerne les avoués près les tribunaux de grande instance.
Loi 2001-43 2001-01-16 art. 7 : "Ces dispositions sont abrogées en tant qu'elles concernent les courtiers interprètes et conducteurs de navires".
■ Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
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