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[ 15 janvier 2018 ] Imprimer

Notre-Dame des Landes : quand les pouvoirs publics donnent raison à la doctrine contre la jurisprudence

Toutes les ressources de la démocratie administrative « à la française » ont été mobilisées dans l'affaire du projet d'implantation d'un aéroport à Notre-Dame des Landes : volumineux dossiers « d'étude d'impact », procédure d'enquête publique appelée à recueillir l'opinion et les observations des personnes concernées par le projet, « commission du débat public » chargée d'élargir le débat pour les grands projets d'infrastructures, référendum local, organisé sur la base d'une disposition législative ad hoc, ouverture large du prétoire aux nombreux recours des opposants au projet (il est dit qu'il y aurait pas moins de 179 décisions de justice rendues). Et pourtant rien n'y a fait, non seulement les opposants n'ont pas désarmé mais il demeurait toujours un doute sur le bien-fondé du choix du lieu d'implantation et plus globalement sur l'alternative entre la création d'un nouvel aéroport ou l'agrandissement de celui qui existe actuellement.

Il aura fallu attendre l'extrême limite du délai de validité de la déclaration d'utilité publique du projet (qui avait été prononcé été prononcée en 2008) pour que cette question ressurgisse dans le rapport remis par trois médiateurs au premier ministre le 13 décembre dernier. Depuis cette date de consultation en visite des lieux, de prise de position des différents acteurs dans les médias en suspense ménagé par le Gouvernement, le choix, dit-on n'est toujours pas fait. Hésitation réelle ou feinte, réflexion approfondie ou stratégie politique, d'un certain point de vue, peu importe. Ce qui importe en revanche c'est qu'enfin au bout de 10 années cette question cruciale ait été posée.

Cela est important d'un point de vue concret dans une perspective d'aménagement du territoire. Mais cela l'est tout autant d'un point de vue juridique et ce rapport, comme l'attitude des pouvoirs publics, marqueront sans doute une rupture dans l'histoire du contrôle de l'utilité publique des grands projets d'aménagement.

Le Conseil d'État, depuis qu'il a en 1971 fixé sa jurisprudence sur la nature du contrôle qu'il exerce sur l'utilité publique de projets d'aménagement ne s'est en effet jamais départi du refus initial de procéder à un contrôle par comparaison entre le projet retenu par l'administration et les solutions alternatives que celle-ci n'aurait pas envisagées ou qu'elle aurait écartées. Le « contrôle du bilan » de l'arrêt « Ville nouvelle Lille-Est » vise en effet à déterminer si les avantages du projet l'emportent sur ses inconvénients et nullement à vérifier si un autre projet aurait pu avoir un « bilan coûts-avantages » meilleur que celui faisant l'objet de la déclaration d'utilité publique.

Dans un retentissant article paru en 2003, le professeur Bertrand Seiller remettait en cause cette logique jurisprudentielle en montrant à quel point le contrôle du bilan tel qu'il était ainsi pratiqué par le Conseil d'État était insatisfaisant, n'aboutissait qu'à de rarissimes annulations mêmes dans le cas de projets controversés (pour un contrôle de la légalité « extrinsèque » des déclarations d'utilité publique, AJDA 2003. 1472). Ces critiques étaient rejointes par celles d'un des plus fins connaisseurs du droit de l'expropriation, René Hostiou, dans l'article qu'il avait donné aux Mélanges Hélin (R. Hostiou, Théorie du bilan et contrôle de la légalité « extrinsèque » de la déclaration d'utilité publique, in Perspectives du droit public, Mélanges offerts à J.-C. Hélin, Lexis Nexis 2004, p. 355).

Que la doctrine ait ainsi pu contester avec des arguments très forts la logique de la jurisprudence n'a eu strictement aucune incidence sur la position du Conseil d'État. Dans l'affaire de l'aéroport de Notre-Dame des Landes, justement, il a eu l'occasion de la réaffirmer avec une très grande netteté rejetant même la question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été soumise à cet effet en considérant que la question de la nature de son contrôle n'était « pas sérieuse » (CE 17 oct. 2013, Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, n° 358633: AJDA 2013. 2550, note R. Hostiou). Cette dernière décision était d'ailleurs un véritable camouflet pour les tenants de la position contraire puisqu'elle se bornait à réaffirmer la solution traditionnelle sans donner la moindre explication au refus d'envisager l'extension du contrôle à l'examen de projets alternatifs (« considérant » n° 5 de l'arrêt).

À la vérité, elle traduisait bien la manière dont le Conseil d'État entend mettre à l'abri de toute critique et en particulier de toute contestation en termes de constitutionnalité d'un principe jurisprudentiel (en dehors des cas où celui-ci fait corps avec l'interprétation d'une disposition législative).

Mais comme souvent, les jurisprudences les plus affirmatives et les plus péremptoires sont également celles dont la solidité est la moins assurée : ne pas donner de raison au maintien d'une jurisprudence provient souvent du fait que l'on n'en trouve guère.

Aussi, c'est dans ce contexte que doit être appréciée l'importance à donner au rapport qui a été remis aux pouvoirs publics par les médiateurs dans l'affaire de l'aéroport de Notre-Dame des Landes : ce rapport montre qu'aujourd'hui l'acceptabilité d'un projet d'aménagement passe non seulement par la vérification de son utilité publique au sens traditionnel du terme (sur ce point V. F. Tarlet, V° "Utilité publique" in Dictionnaire des communs, PUF 2017) mais aussi et peut-être surtout, par la confrontation de ce projet avec d'autres options. Ce constat ne se limite d'ailleurs pas au régime des seules déclarations d'utilité publique mais a vocation à également englober l'appréciation des choix d'urbanisme et d'environnement qui sont opérés par les collectivités publiques, notamment dans le cadre de l'élaboration des documents réglementaires d'urbanisme et d'environnement.

Il est évidemment ambitieux et sans doute prématuré d'annoncer l'émergence globale d'un contrôle de la légalité « extrinsèque », pour reprendre les mots du professeur Bertrand Seiller, des projets d'aménagement et d'urbanisme. Mais l'épilogue de l'affaire de Notre-Dame des Landes, compte tenu de son importance politique juridique et médiatique, aura de toute évidence des effets dans l'avenir et il n'est guère de doute que la prochaine fois qu'il aura à se prononcer sur la confrontation d'un projet d'aménagement avec une solution alternative, le Conseil d'État ne pourra plus de manière aussi abrupte que par le passé rejeter le moyen et qu'il lui faudra au contraire réexaminer sérieusement le fondement et la nature du contrôle qu'il opère. Et s'il ne le fait pas on peut penser qu'un jour ou l'autre le législateur le fera à sa place.

 

 

Auteur :Frédéric Rolin


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