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Le billet
Notre ennemi, c’est l’endettement, pas la finance
On se souvient du propos tenu par François Hollande : mon ennemi, c’est la finance. Si on rapproche ce propos du fait que la dette de l’État vient de dépasser 2 000 milliards d’euros (encore faudrait-il ajouter à ce montant les pensions de retraite des fonctionnaires qui ne sont pas provisionnées et qui sont payées mois après mois dans les dépenses courantes de l’État), qui sont finalement prêtés à la France par des financiers, on est quelque peu perplexe.
La responsabilité de cette situation n’est évidemment pas à imputer au prêteur mais à celui qui s’endette, c'est-à-dire la France et ceux qui la gouvernent. Étant bien précisé que la critique s’adresse non pas seulement à notre président actuel, mais à tous ceux qui, depuis 1974, ont contribué à creuser, année après année, le trou de la dette. Ce n’est pas la faute des financiers qui nous prêtent, mais notre faute collective. Comme l’a finalement reconnu le président Hollande, « la dépense publique n’est pas la solution mais le problème ».
En bref, la France vit au-dessus de ses moyens ; elle vit à crédit et ce depuis une quarantaine d’années, mais il arrive un moment où la dette devient insupportable, tant pour les gouvernants que pour les gouvernés. Aujourd’hui elle représente 30 000 € pour chaque Français et les intérêts à payer sont tels qu’ils absorbent la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu. Pour les gouvernants le poids des intérêts leur enlève toute marge de manœuvre, spécialement en période de crise. Et pour les gouvernés, ils sont écrasés d’impôts au point qu’on voit apparaître un peu partout des jacqueries.
Si l’État était une entreprise, il y a bien longtemps qu’il aurait déposé son bilan et qu’on l’aurait mis en redressement judiciaire, sinon même en liquidation. François Fillon était dans le vrai lorsqu’il a dit – peut-être imprudemment au plan politique – que la France était en faillite tant sa situation économique était catastrophique. S’il était un particulier, il serait clairement en état de surendettement et plus aucune banque n’accepterait de lui prêter.
Cela dit, emprunter n’est pas nécessairement le signe d’une mauvaise gestion. C’est une bonne solution s’il s’agit de financer des investissements productifs car il y aura un retour sur investissement qui permettra de payer les intérêts et de rembourser la dette. Mais tel n’est pas le cas de la France qui emprunte à long terme pour faire face à ses dépenses courantes, c’est-à-dire des dépenses immédiates. C’est à certains égards l’équivalent du crédit à la consommation pour un particulier, à ceci près que dans ce cas il s’agit d’étaler une dépense dans le temps, la durée du crédit étant également limitée. Et le prêteur ne manque pas de rappeler, comme il lui en est fait obligation : « Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager ».
Pour notre État Cigale, rien de tel. Depuis quarante ans nos gouvernements s’y sont tellement habitués qu’ils ont oublié qu’un jour il faudra rembourser. Et chaque gouvernement passe la patate chaude au suivant cependant que le jour du remboursement se rapproche. Si nous ne réglons pas notre ardoise, elle passera à nos enfants.
Qui sont nos vilains créanciers prêteurs ? Suivant l’Agence France Trésor, ce sont principalement les banques françaises (11 %), les sociétés d’assurances françaises, y compris les assurances-vie (20 %) et pour 65 % des investisseurs étrangers (fonds souverains, banques centrales, fonds de pension, etc.), si bien qu’en cas de défaillance de l’État français, quelques 35 % des impayés affecteront les investisseurs français.
Qui sont les débiteurs au sein de l’État ? Suivant l’INSEE, à 80 % l’État lui-même, y compris pour les retraites et les aides sociales, 11 % la Sécurité sociale et 9 % les collectivités locales. En bref, toutes les composantes de l’État contribuent également à la dette, par laxisme ou par générosité ou par intérêt (électoral).
Pourquoi pareille dette ? Parce que depuis de longues années, et cela ne fait que s’accentuer au cours du temps, l’État, les collectivités locales, la Sécurité sociale, etc. se montrent trop généreux en distribuant plus d’argent qu’ils n’en ont. Les politiques ne manquent pas de s’en expliquer en nous rabâchant que c’est pour financer « le modèle social français que tout le monde nous envie ». Voire ! Certains de nos voisins font la même chose avec beaucoup moins. C’est un peu comme l’argument de la « défense du service public » qui justifierait tous les dépassements de budget pour répondre aux demandes des agents dudit service public. Les élections présidentielles sont un lieu d’élection de ces dépenses, les candidats faisant assaut de promesses qui sont déraisonnables mais que les électeurs prennent pour argent comptant. Et si d’aventure certaines de ces promesses sont tenues, elles deviennent immédiatement des « droits acquis » dans l’esprit de nos concitoyens. Il suffit pour s’en convaincre de voir aujourd’hui les députés socialistes « frondeurs », les élus écologistes et la gauche de la gauche réclamer l’exécution de ces promesses alors que, comme en 1983, deux ans après l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, notre actuel président s’aperçoit que les rêves d’hier risquent de devenir un cauchemar.
Alors que faire ? On ne manque pas d’idées en France, même si toutes ne sont pas nécessairement bonnes. Il suffit de relire les Rapports de la Cour des comptes, ou encore le rapport Attali, ou le rapport Gallois, et d’autres encore. Tous ont été prudemment jetés aux oubliettes, ne serait-ce que pour ne pas fâcher les Français et ne pas compromettre le succès aux élections futures. Dans de semblables circonstances, Churchill avait eu le courage de promettre « du sang et des larmes », et Schroeder avait agi de même en Allemagne. On a de la peine à imaginer que nos dirigeants, ou futurs dirigeants, puissent se montrer aussi déterminés ; en France cela risquerait fort d’être un suicide politique. Il suffit, par exemple, de constater qu’il y a des mots qui fâchent, notamment le mot d’ « austérité ».
Finalement ce sont les Français dont il faudrait changer la mentalité. Au lieu de leur seriner – parfois avec talent – par partis politiques ou médias interposés des calembredaines sur l’économie, la réduction (sans effort) des inégalités et la confiscation du profit par les entreprises ou par les « riches », mieux vaudrait leur exposer la réalité économique, en leur laissant le soin de comprendre où est la vérité.
Par exemple, une question simple : est-il objectivement raisonnable d’abaisser l’âge de la retraite (ou de ne pas l’augmenter) alors que l’allongement de la durée de la vie entraîne mécaniquement une augmentation du coût des pensions ? Qui va payer ce surcoût des pensions et comment ?
Références
■ « Nos échanges extérieurs sont déficitaires depuis 2005. Le déficit de la balance courante a atteint près de 2% du PIB de 2011 à 2013. La production industrielle est tombée en 2014 au niveau de 1994. Le déficit public est scotché au-dessus de 4% du PIB chaque année de 2013 à 2015. La dette publique continue de dériver. » (Ch. Saint-Étienne, Le Figaro, 23 sept. 2014.
■ « La Cigale, ayant chanté tout l’été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue…Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine. », La Fontaine, La Cigale et la fourmi.
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