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Le billet

[ 3 avril 2018 ] Imprimer

Où sont les hommes ?

En octobre 2017, l’Inspection Générale de la Justice, avec pour responsable de mission Sandrine Zientara-Logeay, a remis au garde des sceaux son rapport sur « la féminisation des métiers du ministère de la justice ». Les conclusions ne surprennent pas : on constate un fort taux de féminisation de ces métiers, ne permettant plus de les qualifier de métiers mixtes (+ de 60% de femmes), avec une résistance du phénomène de « plafond de verre », malgré de nombreux progrès. Certains de ces métiers, allant des personnels de surveillance aux psychologues de la PJJ en passant par les magistrats, greffiers et éducateurs, sont délaissés par les hommes. Le rapport tente de comprendre la nature et l’étendue de cette tendance en répondant à trois questions : quoi, pourquoi, comment ?

 « Quoi » renvoie à un état des lieux chiffré. La progression des femmes dans les métiers du ministère de la justice menace aujourd’hui la mixité des métiers entendue par le rapport comme un taux supérieur à 60% d’un des deux sexes. Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur ce phénomène mais d’en comprendre les causes et les conséquences. Les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans la plupart de ces métiers.  Pour ne citer que quelques exemples, les psychologues de la PJJ sont composés à 92% de femmes contre 88 % pour les greffiers, 65,5 % pour les magistrats et 65 % pour les directeurs de service de la PJJ. En revanche, elles ne sont que 20,20% dans le corps d’encadrement et d’application des personnels de surveillance et 29,8 % dans le personnel de commandement de la DAP. La féminisation de ces métiers ne devrait pas s’arrêter là en raison du taux de féminisation très fort des études en droit. Cependant, le « plafond de verre » a la peau dure et même si des progrès sont visibles la résistance est encore très forte. Ainsi pour la magistrature, le nombre de femmes reste limité pour les postes de premier président, de président, de procureur hors hiérarchie ou de directeur interrégional de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse. Le corps du Conseil d’État reste pour sa part en dessous avec un taux de femmes de 32,09 % au 31 déc. 2016 contre 29% à la Cour des comptes. Il faut néanmoins nuancer ces résultats. D’une part, une évolution très forte est en cours. Que l’on songe aux magistrats hors hiérarchie, qui étaient à 29,49% des femmes en 2011 et qui sont 43,65 % en 2017. D’autre part, le taux de féminisation est encourageant lorsque l’on compare d’autres professions du droit. Au 1er janvier 2016, on compte 41% de femmes notaires en juillet 2017 (contre 72,73 % des actifs du notariat depuis 2009) et au barreau, au 1er janvier 2016, 55,1 % de femmes.

 

Le pourquoi invite à s’interroger sur les causes d’un tel phénomène. Il est difficile d’identifier les causes d’une « démasculinisation » (en 2015/2016, les hommes représentent seulement 34,2% des étudiants en droit) et d’une forte féminisation de ces métiers. Des causes exogènes sont mises en lumière dans ce rapport, causes déjà soulignées par de multiples travaux antérieurs : une inégalité dans la répartition des tâches domestiques, des femmes toujours plus nombreuses à concilier vie personnelle et vie professionnelle ; une organisation du travail et des critères de promotion défavorables aux femmes ; une fausse représentation sociale des métiers de la justice (peu de pouvoir, peu rémunéré, peu de prise de décision, peu d’action…). Il ne faut pas non plus négliger les causes endogènes, inextricablement liées aux causes exogènes. En raison de l'éducation et donc d'une construction sociale, les femmes paraissent douter davantage que les hommes de leurs compétences. Beaucoup d’entre elles avouent ne pas oser postuler à certains postes à responsabilité. Cependant, ces causes doivent être nuancées car les choses évoluent et les mentalités changent. La question à laquelle le rapport tente de répondre est de savoir par quels moyens la féminisation des postes à responsabilité pourrait être accélérée et comment rétablir cette mixité chère à une fonction publique qui veut être à l’image de la société civile et pour qui l’apparence de mixité est tout aussi importante que la mixité réelle (notamment dans certains contentieux où des hommes sont face à un juge, des assesseurs, un procureur, un greffier et des avocats femmes).

Le comment permet d’insister sur les moyens préconisés par le rapport pour améliorer la situation ou tout au moins en améliorer la compréhension. L’objectif des rapporteurs est d’abord d’améliorer la connaissance des causes du phénomène. A cette fin, ils préconisent, à bon escient, une étude empirique, nationale et internationale, sur les motivations des étudiants (génération « Z » entre 15 et 25 ans). Il ne faudra pas négliger dans les personnes sondées, interrogées et avec lesquelles un entretien sera organisé, les parents qui souvent, sur la base de représentation sociale erronée, opèrent un choix à la place de leur enfant. Ensuite, pour accéder aux postes à responsabilité et « remasculiniser » les métiers afin de répondre à l’exigence de mixité, le rapport propose toute une série de mesures. La première est de mettre à mal une représentation sociale erronée : campagne d’information et de sensibilisation notamment dans les collèges et lycées (par exemple sur les pouvoirs importants du juge, sa rémunération…). La deuxième série de mesures consiste à mettre en place une véritable politique de la mixité : intégrer la mixité dans les plans de communication du ministère de la justice, diversifier les modes de recrutement et voies d’accès aux concours,… Enfin, s’impose une réorganisation du travail pour faciliter la conciliation de la vie professionnelle et personnelle : encourager le télétravail, réorganiser le temps de travail (durée des audiences, mettre en place une charte du temps, sensibiliser les cadres à ces questions…) ; améliorer la mobilité des corps…

En définitive, il ne s’agit pas de critiquer le trop fort taux de féminisation et réduire le phénomène à un « problème » – qui ne se posait d’ailleurs pas au temps où les hommes étaient largement majoritaires ! –, mais de tenter de comprendre les causes d’une démasculinisation qui porte atteinte à la mixité des métiers de la justice. Attention enfin à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul car les chiffres montrent que la mixité sexuelle se fait parfois au détriment de la mixité sociale. Restons vigilants !

 

Auteur :Mustapha Mekki


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