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Le billet

[ 11 juillet 2022 ] Imprimer

Pas de vacances pour les étudiants étrangers

Chers amis lecteurs, étudiants et autres, ce billet est le dernier de l’année universitaire avant des congés bien mérités pour tout le monde. Congés bien mérités pour tout le monde ? Justement, voici une histoire qui vous montrera que les vacances ne se passeront pas de la même manière pour tout le monde. Et spécialement pas pour de nombreux étudiants étrangers.

Elle s’appelle X. Elle est libanaise. Elle s’appelle X car elle ne veut pas que l’on donne son prénom, d’ailleurs elle n’avait pas très envie qu’on raconte son histoire de peur qu’il en résulte des complications supplémentaires. Je l’ai assuré qu’il n’y avait pas de risques, mais je respecte évidemment son anonymat rechignant à céder à la pratique contestable des « prénoms modifiés ».

Elle s’appelle donc X, elle est libanaise et quelques semaines après l’explosion du port de Beyrouth, en 2020, elle est venue en France commencer des études d’art plastique avec un visa que l’Ambassade de France délivrait alors à tour de bras dans des délais très courts, toute pleine de l’empathie présidentielle qui promettait sinon un futur radieux du moins un redressement rapide du pays. Ce visa, étudiant, lui permit de suivre, et de réussir sa première année d’études et de retourner au Liban retrouver sa famille pour l’été.

Là, elle débuta une procédure pour l’obtention d’un titre de séjour. Mais, la maladroite, avait oublié que les « e-photographies » d’identité devaient être prises par un photographe ou une cabine « agréée » par le Ministère de l’intérieur français, ce qui ne se trouve guère au Liban. Elle déposa donc toutes ses pièces hormis la photographie pour laquelle elle proposa de joindre une photographie de Photomaton.

Pas de réponse.

Revenue en France au mois de septembre elle redéposa une demande, cette fois entièrement complétée. Ne voyant rien se produire sur la plateforme de la préfecture elle envoya un mail le 24 octobre s’inquiétant car désormais son visa était expiré et qu’elle était donc en situation irrégulière.

Pas de réponse.

En décembre, elle renvoya un nouveau mail pour signaler sa situation et qu’elle ne pourrait pas rentrer voir sa famille pour les fêtes de Noël (précisons que je fais grâce aux lecteurs, dans cette énumération, de toutes les tentatives de prise de rendez-vous, de coups de téléphone à la plateforme, qui ont cette caractéristique commune de n’avoir abouti à rien).

Pas de réponse. Ah si, un accusé de réception signé « BP » rédactrice au 6e bureau du service de l’administration des étrangers : « Votre courriel est transmis ce jour aux services compétents, en charge de cette demande. Nous vous remercions et vous souhaitons une bonne journée ». Les « services compétents » ne se manifestèrent pas et elle passa donc la fin de l’année seule à Paris, juridiquement en situation irrégulière sur le territoire français. Ajoutons que cette situation irrégulière conduisit également à la suppression de ses APL…

Soudain, et nous sommes cette fois en février 2022, lors d’une de ses multiples tentatives pour tenter d’obtenir un rendez-vous en préfecture (et qui se soldaient toujours par un échec, le GISTI et la CIMADE ont bien documenté la chose, v. ici), elle vit apparaître dans son dossier une « attestation de prolongation d’instruction d’une demande de titre de séjour » qui valait « autorisation de la présence en France » jusqu’au mois de mai 2022. Séjour régulier, rétablissement des APL, c’était presque le paradis.

En mars, avril : tentatives vaines de prise de rendez-vous à la préfecture, envois de mails de relance.

Rien, pas de réponse.

En mai 2022, lors d’une connexion sur son dossier elle constate que sa demande est « clôturée » alors qu’elle n’a toujours pas de titre ni même de rendez-vous. Message en panique à la préfecture car son « autorisation de présence en France » expire.

Réponse de l’Agence Nationale des Titres Sécurisés : « Vous avez déposé une autre demande directement en préfecture. Il est à noter qu’une demande déposée en préfecture est prioritaire sur la demande en ligne, de ce fait le service instructeur clôture la demande en ligne et poursuit le traitement de votre dossier papier. Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur la décision qui a été prise, nous vous invitons à prendre contact avec votre préfecture de résidence ». Est-il besoin de préciser qu’elle n’avait jamais déposé une telle demande papier pour la triviale raison que la préfecture est totalement inaccessible…

En mai- juin 2022 : relances multiples, lettre adressée par un avocat au préfet.

Pas de réponse.

Avec ce problème supplémentaire que désormais l’accès à son dossier renvoyait une « erreur technique » qui, malgré de multiples échanges avec l’ANTS ne fut pas résolue. Le dernier mail en date de cette éminente et numérique institution lui indique que « nous avons bien enregistré votre demande, elle a été adressée pour traitement par le service compétent dans un délai maximum de 4 jours ouvrés », elle est datée du 28 juin. Les 4 jours ouvrés sont expirés. Il ne s’est rien passé.

Le 5 juillet 2022 : file d’attente à la préfecture de police à 6 heures du matin avec le dossier qui relate tous ces évènements. 10 h 30 : « Vous n’avez pas de rendez-vous » : protestations, explications, pleurs, et une fonctionnaire finit par accepter de regarder le dossier avec toutes les pièces. 

- « C’est vrai des documents ont été égarés, c’est vrai vos mails n’ont pas reçu de réponse, c’est vrai il y a un problème technique, nous sommes désolés ».

- Et donc ? 

- « Donc vous allez recevoir un mail avec une convocation ».

- Quand ? 

- « Je ne sais pas, le délai est variable, demain, une semaine ou un mois ».

Le mail n’est pas arrivé, il n’y aura pas de retour au Liban pour les vacances, les APL sont de nouveau interrompues, il faudra faire appel à la solidarité familiale et libanaise à Paris pour tenir le coup, espérer de ne pas faire l’objet d’un contrôle de police, espérer aussi que l’inscription en troisième année pourra être finalisée sans titre de séjour. Et naturellement, payer un avocat pour engager le fameux « référé mesures utiles » qui débloque toutes les situations puisque la Préfecture donne des rendez-vous pour éviter d’avoir à payer les frais de procédure dans chaque dossier.

La situation de X. n’est pas un cas isolé, très loin de là. Ils seront des milliers d’étudiants étrangers bloqués en France cet été, loin de leur famille, dans des situations économiques et psychologiques fragilisées, en raison du fonctionnement scandaleux des administrations qui ont vocation à gérer leurs demandes.

Pour tous les autres « bonnes vacances »….

 

Auteur :Frédéric Rolin


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