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Pénalisation des violences psychologiques au sein du couple : fausse route ?
Fausse route ; tel était le titre d’un essai paru il y a quelques années, sous la signature d’un auteur qui défraie aujourd’hui la chronique en dénonçant les risques d’aliénation de la femme que porterait un certain fondamentalisme naturaliste bon teint (E. Badinter, Le conflit, La femme et la mère, Flammarion, 2010). À l’époque, Élisabeth Badinter stigmatisait sous ce titre les faux attraits de la politique des quotas pour assurer la promotion des femmes dans la société.
La formule ne s’appliquerait-elle pas également à cette proposition de loi discutée cette semaine, et présentée conjointement — le fait est assez rare pour être souligné — par le parti socialiste et l’UMP, proposition destinée à lutter contre les violences conjugales, et visant notamment pour ce faire à créer un délit de violences psychologiques au sein du couple ?
À en juger par les réactions suscitées par cette proposition au sein de la communauté des juristes, « fausse route » ferait plutôt figure de formule euphémique. Et force est bien de reconnaître que les arguments d’emblée mobilisés contre la création de ce nouveau délit paraissent considérables. À commencer par celui tiré du caractère assez évanescent de sa définition : que faudra-t-il entendre exactement par « agissements ou paroles répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, ou d’entraîner une altération de sa santé physique ou mentale » ?
Mais aussi et surtout, comment ne pas voir que la caractérisation de l’infraction — assortie au demeurant de sanctions significatives, jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende — se heurtera à de redoutables difficultés de preuve, s’agissant d’actes et de faits qui peuvent passer pour anodins lorsqu’on les abstrait du ressenti de la victime ?
Et la référence au précédent que constitue l’infraction de harcèlement moral vient naturellement à l’esprit, avec son bilan chiffré a priori très mitigé puisque selon les chiffres de la Chancellerie, tels que les rapporte le journal Le Monde (daté du 26 février), c’est à moins d’une centaine de condamnations annuelles que donne lieu ce délit du droit du travail.
Est-ce assez pour condamner cette entreprise et y voir une simple opération de communication et d’affichage ? Si ce genre d’accusation, souvent lancée comme en l’espèce par un syndicat de magistrats s’avère généralement assez fondé, on avoue répugner cette fois à s’y associer pour couper court à toute discussion.
Considérons d’abord avec l’intérêt qui y est dû cette observation qui semble faire consensus chez les spécialistes de ces douloureuses questions : les violences psychologiques ne sont le plus souvent que le stade précurseur des violences physiques.
Même en admettant que les difficultés probatoires soient de nature à cantonner assez substantiellement le nombre des procédures, il n’est pas sûr que le jeu n’en vaille pas la chandelle. Il n’est pas absurde de considérer que quelques dizaines de condamnations pour harcèlement moral sont aussi quelques suicides évités.
Et si des condamnations pour violences psychologiques au sein du couple peuvent servir à enrayer la descente aux enfers vers les violences physiques, fût-ce dans quelques cas, on veut bien oublier, une fois n’est pas coutume, nos griefs répétés (et justifiés) contre l’inflation législative et la propension pathologique du législateur pénal à la gesticulation.
Dans cette vallée de larmes des violences conjugales (disons de manière plus directe, des violences faites aux femmes), il n’y a pas de fausses routes, il n’y a que des chemins de croix.
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