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[ 6 mars 2017 ] Imprimer

PenelopeGate, contribution incidente sur la qualification juridique des deniers en cause

Les échanges – politiques, médiatiques et juridiques – sur ce qu’il convient d’appeler le PenelopeGate n’en finissent pas. Ils sont à la hauteur des enjeux, ceux d’une élection présidentielle. Le juriste – et plus précisément le juriste universitaire – occupe une place particulière dans ce débat au travers de son analyse – sollicitée ou spontanée – qui dévoile aux citoyens un art que les avocats et après eux les magistrats, connaissent bien, celui de dire le droit, de l’interpréter et d’en obtenir une application conforme à des objectifs préalablement définis. Lorsque ces objectifs sont politiques, lorsque le juriste universitaire « instrumentalise » le droit, la question se pose de la crédibilité et de la valeur qu’il est possible d’accorder à son travail.

C’est la question que peuvent très logiquement se poser les citoyens lorsqu’ils assistent à ces joutes juridiques. Il y a eu ce collectif de professeurs en droit public évoquant un « coup d’État institutionnel » qui, à force d’arguments, entendait démontrer le défaut de fondement de l’action engagée contre les époux Fillon (appel relayé par les médias. V. notamment Atlantico, 18 févr. 2017).

En réponse, un autre collectif d’universitaires a contesté cette analyse juridique en reprenant pour mieux les écarter, les différents arguments avancés (Réplique publiée sur blog.juspoliticum (JP Blog) et reprise sur le blog libertes.blog.lemonde.fr – « L’Affaire Fillon n’est pas un coup d’Etat institutionnel », 23 févr. 2017).

Ces joutes juridiques sont logiques lorsque devant le juge, les avocats entendent défendre leurs clients. C’est même tout l’art du conseil juridique que d’obtenir du juge que le droit soit appliqué dans l’intérêt du client défendu.

Il ne peut être reproché à ces conseils pareille instrumentalisation. Même si certains d’entre eux tentent d’auréoler leur argumentation d’un blanc seing scientifique. On peut notamment lire à ce propos, l’intéressante argumentation développée par Maître Eolas.

En revanche, le propos se doit d’être plus mesuré lorsqu’il s’agit d’universitaires dont l’intégrité scientifique implique qu’ils se placent au dessus de la mêlée.

Certains ont fait ce choix, d’autres ont en revanche décidé d’exercer, parallèlement à leur carrière d’universitaire, des fonctions politiques ou plus simplement, d’exprimer leurs orientations politiques.

Ce choix fait, il faut bien concevoir que les propos tenus en tant qu’universitaires pourront alors aisément être déformés et qu’un soupçon va nécessairement peser sur l’interprétation qu’ils entendent donner des textes applicables.

Le premier collectif évoqué en a rapidement fait les frais – alors que l’un d’entre eux a été décoré de la légion d’honneur par M. Fillon… il n’en fallait pas plus pour que la presse fasse planer un soupçon sur l’argumentation juridique soutenue par ces professeurs – et de supposer qu’ils agissaient forcément en soutien du candidat ainsi soumis à la vindicte médiatique.

D’autant que le second collectif a pu établir, sur une argumentation opposée, qu’au contraire M. Fillon pouvait valablement être poursuivi pour les faits qui lui étaient reprochés sans que le principe de séparation des pouvoirs ne soit opposable.

Quelques éléments de réponse pourraient finalement venir du droit public financier. Selon les argumentations développées, les crédits en cause seraient tantôt des crédits publics tantôt des crédits privés. Dans le premier cas, M. Fillon devrait être responsable de leur emploi, dans le second cas, il n’aurait pas à justifier des dépenses qu’il a pu réaliser sur la base de cette enveloppe laissée à disposition de chaque parlementaire.

Pour justifier qu’il ne s’agirait pas de crédits publics, l’argument développé par les soutiens de M. Fillon consiste à expliquer que l’argent, en arrivant dans la caisse de M. Fillon, caisse privée, a changé de nature juridique et que public, il est devenu privé.

Cet argument n’écarte en rien la compétence des juges pour contrôler l’emploi fait de cet argent public. Ce n’est pas la question de la qualité publique ou privée dont il est question mais de leur emploi dès lors que ces fonds trouvent leur origine dans la caisse publique et au-delà dans les impôts payés par les contribuables.

Toute proportion gardée, c’est cette logique que l’on retrouve devant le juge des comptes qui va contrôler l’emploi fait de l’argent public y compris au sein des caisses privées qui en ont bénéficié. 

La logique doit être transposée à la caisse du parlementaire. Peu importe la nature juridique des crédits, peu importe qu’ils soient devenus privés ou restés publics, la question qui s’impose, c’est celle de l’emploi qui a été fait de cette enveloppe.

Selon la présentation qui en est faite, l’indemnité parlementaire est destinée à compenser les frais inhérents à l’exercice du mandat. S’y ajoutent des moyens matériels mis à disposition comme les frais de mandats et les crédits affectés à la rémunération des collaborateurs. Les premiers permettent la prise en charge de dépenses liées à l’exercice du mandat qui ne sont pas directement prises en charge ou remboursées par l’Assemblée, les seconds sont recrutés, licenciés par le parlementaire qui fixe également leurs conditions de travail. Sachant que les crédits non utilisés par le parlementaire demeurent acquis au budget de l’Assemblée ou peuvent être cédés par le parlementaire à son groupe politique pour la rémunération d’employés de ce groupe.

On l’aura compris le cadre d’utilisation est relativement clair et il ne peut être envisagé que ces crédits supplémentaires accordés au parlementaire puissent être utilisés à des fins personnelles ou permettre un complément d’indemnités qui serait, en l’occurrence, versé, par exemple, au conjoint du parlementaire. Le député Charles de Courson a ainsi évoqué le cas d’une députée qui utilisait cette indemnité pour faire ses courses… Ceci n’est pas acceptable.

Et lorsqu’il est question d’emplois rémunérés, la question est celle de la contrepartie réalisée. Faire appel à un membre de sa famille, s’il peut se comprendre, doit revêtir un haut degré d’intégrité et il doit être possible de justifier de l’activité réalisée.

C’est manifestement à ce sujet que M. Fillon semble éprouver quelques difficultés.

Comme nous rappelions, l’artifice juridique utilisé par les conseils et les soutiens de M. Fillon entend contester toute compétence au juge en application du principe de séparation des pouvoirs.

Il faut d’ailleurs constater que la Cour des comptes qui a en charge le contrôle de l’emploi des fonds publics exerce un contrôle minimum sur les assemblées parlementaires au moyen d’une certification de leurs comptes. 

La question se pose alors. Est-ce que le juge judiciaire se trouve confronté à la même restriction. Ce n’est pas ce qu’a estimé le parquet national financier. Et comme on l’aura compris, à ce sujet, les juristes universitaires, qu’ils soient engagés ou pas, ont développé des interprétations différentes de ce principe de séparation des pouvoirs, en appelant à Montesquieu pour certifier le bien fondé de leur argumentation. Un principe qui s’inscrit dans un équilibre pourtant essentiel en fonction duquel « pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». 

Et c’est bien cela dont il est question. Supposer que les parlementaires puissent disposer d’un entier pouvoir dans l’utilisation de leur enveloppe – alors que ces fonds sont, pour l’essentiel, issus des impôts prélevés sur le territoire national, sur ses contribuables – ne peut être accepté. Le principe du consentement de l’impôt, héritage révolutionnaire, a pour corollaire que les représentants de la Nation doivent pouvoir vérifier l’emploi qui est fait de cet argent. Ces mêmes représentants, nos parlementaires ne peuvent arguer de leur situation pour bénéficier d’un tel privilège. La transparence, la sincérité doit s’imposer à tous les niveaux de l’État. 

Et il semble logique que des dispositifs de contrôle, tels que ceux qui existent déjà dans d’autres pays (Angleterre, Suède…), soient mis en place – puisque manifestement, il n’est pas possible de faire confiance à ces représentants.

On l’aura compris, c’est finalement l’interprétation du principe de séparation des pouvoirs, telle qu’elle sera reçue par les juges, qui déterminera l’issue de cette affaire. Une manière de comprendre que le droit, ce n’est parfois pas autre chose qu’un instrument destiné à servir ceux qui sauront le mieux l’utiliser.

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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