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Le billet
Piteux anniversaire !
Le 9 octobre, outre le premier tour des primaires du parti socialiste en vue de l’élection du président de la République, quel autre événement méritait qu’on y prête un peu d’attention ??? Vous ne voyez pas ???
Le trentième anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France, rien que ça… Pourtant, parmi toutes les feuilles de choux effeuillées ces derniers jours, je n’ai pas trouvé la moindre trace de cet événement historique…
Cette indifférence s’explique-t-elle parce que la loi du 9 octobre 1981 ne serait qu’un petit pas pour l’humanité ? Ou bien s’agit-il de faire profil bas pour éviter de voir resurgir les vieux démons et les nostalgiques d’une justice d’élimination ? Il est vrai qu’en 1981, certains l’ont peut-être oublié, les Français étaient très majoritairement favorables au maintien de la peine de mort et que la plupart des candidats à l’élection présidentielle, François Mitterand et Jacques Chirac en tête, s’étaient courageusement prononcés en faveur de son abolition. Et il suffit de prêter un peu d’attention au petit jeu politicien de la démagogie électorale pour constater que d’aucuns n’hésitent pas à faire vibrer la fibre sécuritaire qui sommeille en chaque électeur en évoquant, sinon le retour de la veuve, du moins un referendum sur le rétablissement de la peine de mort, en feignant d’ignorer que la peine de mort est juridiquement définitivement condamnée dans notre démocratie…
Aurait-on alors escamoté cet anniversaire parce que la suppression de la peine de mort aurait été jadis une simple formalité et que le monde entier aurait désormais tourné le dos à la loi du talion et une justice sanguinaire ? Si tel est le cas, on a alors la mémoire courte et on ne voit guère plus loin que le bout de son nez. C’est oublier, en effet, les innombrables débats parlementaires que, des siècles durant, la question de l’abolition a suscités. C’est faire injure à Le Pelletier de Saint Fargeau, Robespierre (vous ne rêvez pas, il fut un fervent abolitionniste…), Condorcet, Victor Hugo, Aristide Briand, Jaurès, Badinter en tant d’autres qui se sont battus pour en finir avec la peine de mort, « le plus prémédité de tous les meurtres » (Albert Camus). C’est oublier qu’il y a trente ans, la France n’était que le trente-cinquième État à abolir la peine capitale et que si la loi a été votée sous l’impulsion d’un gouvernement de gauche, trente-sept parlementaires de droite, dont Jacques Chirac, Philippe Séguin et Jacques Toubon, joignirent leurs voix à celles de la majorité d’alors.
Cette loi, dont on a oublié de souffler dignement les trente bougies, n’a d’ailleurs été qu’une étape. En France, elle a été la première posée à l’édifice juridique abolitionniste. Il a fallu attendre 2007 pour que notre pays ratifie le Protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit la peine de mort en toutes circonstances, y compris en tant de guerre, et pour que le Congrès, réuni à Versailles, enrichisse la Constitution d’un nouvel article 66-1, texte aux termes duquel : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
Cet anniversaire oublié aurait pu être l’occasion de rappeler que l’abolition n’était pas encore, loin s’en faut, universelle et que la peine de mort continuait de sévir aux quatre coins de la planète. « Comme la torture dont elle est l’expression ultime, la peine de mort est vouée à disparaître de toutes les législations. Et les générations nouvelles verront un monde libéré de la peine de mort ». Formulé, le 30 septembre dernier, par Robert Badinter, ce vœu est encore pieux. Dans de trop nombreux pays, on exécute encore des criminels, majeurs et mineurs confondus. Arabie Saoudite, Chine, États-Unis, Iran composent le peloton de tête des pays dans lesquels la justice d’élimination continue à faire des ravages, preuve que les pays totalitaires n’ont pas le monopole de la justice par le sang… Comme le disait récemment Pierre Mauroy, chef du gouvernement abolitionniste en 1981, « l’humanité a encore un long chemin à parcourir pour en finir une fois pour toutes avec la peine de mort (…) En conscience, j’ai fait avec d’autres, le choix de l’abolition et donc celui de la civilisation. J’espère pour l’avenir des générations futures et la grandeur de l’humanité, en laquelle j’ai toujours cru, qu’il sera bientôt celui de toutes les femmes et de tous les hommes ». Fêter dignement cet anniversaire aurait peut-être permis, en célébrant le passé, de mobiliser les énergies nécessaires pour en finir une bonne fois pour toutes avec la peine de mort et pour éviter qu’ailleurs comme ici, à la barbarie du crime ne réponde plus la barbarie du châtiment, pour paraphraser le président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale en 1981, Raymond Forni.
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