Actualité > Le billet
Le billet
Pour un développement durable et responsable : info ou intox ?
De retour de la pause estivale et après avoir profité des plaisirs de la nature, certains d’entre nous ont peut-être enfin pris de bonnes résolutions environnementales : trier ses déchets, éteindre les appareils électroniques qui sont en veille, économiser la consommation d’eau, rouler moins vite et moins souvent en voiture, etc. Avec la reprise, cependant, d’autres priorités viennent malheureusement prendre le pas sur nos initiatives écologiques et la conscience environnementale se dilue progressivement avec le temps. Ce caractère éphémère des préoccupations environnementales peut également être observé au plus niveau de la sphère politique et les derniers mois amènent même à se demander si la question d’un développement durable et responsable n’a pas été reléguée au rang de curiosité devant céder le pas aux « vrais » problèmes économiques et sociaux. Un rapide tour d’horizon normatif, aux allures d’un catalogue non exhaustif, conduit à se demander si le discours sur le développement durable relève de l’info ou de l’intox.
Si les valeurs de la nature sont censées être un contrepoids à l’idéologie du marché, cette rentrée réglementaire donne l’impression, au premier abord, d’une rupture d’équilibre. Le constat est alarmant : la question environnementale n’est plus au-devant de la scène politique ni même au-devant de la scène médiatique.
Dans le discours politique, le développement durable est devenu progressivement une valeur refuge. Ce concept a d’abord été « juridicisé » par la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement du 13 juin 1992, par l’article 6 du Traité de l’Union européenne et par l’article L. 110-1, II du Code de l’environnement. Il a ensuite été sacralisé par le 7e considérant préliminaire et l’article 4 de la Charte de l’environnement. L’idée qu’il véhicule est simple : il faut trouver un juste équilibre entre les valeurs économiques, sociales et environnementales. Même si souvent les autorités publiques ont fait de cette notion un outil de « greenwashing » des politiques publiques, elle était au cœur des débats en France et à l’étranger. Or, les dernières expériences montrent un certain recul de cette préoccupation, qui ne s’arrête pas au « limogeage » de Delphine Batho. Deux illustrations en France et à l’étranger suffisent à en prendre conscience.
En France, la « liposuccion » du projet de loi « urbanisme et logement » en fournit un premier exemple. À l’origine, ce projet de loi devait comporter un volet « sites pollués » afin de permettre, notamment, à un exploitant pollueur de transmettre son obligation administrative de remise en état au moyen d’une convention qui aurait été opposable à l’administration. Un nouvel article L. 512-21 du Code de l'environnement aurait en ce sens été rédigé : « lors de la cessation d'activité d'une installation classée pour la protection de l'environnement, le préfet peut prescrire à un tiers qui en fait la demande, avec l'accord écrit du dernier exploitant, la réalisation des mesures de remise en état pour l'usage envisagé par le demandeur ». Cette disposition fondamentale pour les professionnels de l’immobilier aurait été la bienvenue. Cependant, le projet actuellement en discussion ne fait plus état de la création d’un nouveau droit des « sites pollués », éviction réalisée sans aucune justification ! Ce n’est qu’une illustration parmi d’autres. La cacophonie » du gouvernement, ne parvenant pas à trouver un accord sur la taxe du diesel avec des ministres « écolo » qui auraient menacé, « avec discrétion », de ne pas voter le budget de 2014, aurait pu être développée !
À l’étranger, l’exemple le plus topique reste celui de la réserve naturelle de Yasuni en Équateur. Le président, Rafael Correa, avait accepté de ne pas exploiter un gisement de pétrole qui aurait rapporté près de 5 milliards de dollars à la condition d’obtenir une subvention internationale d’un montant de 2,7 milliards de dollars étalée sur douze années. Après deux ans, à peine 10 millions de dollars ont pu être récoltés. Le président a donc décidé de commencer l’exploitation de ce gisement devant entraîner la disparition d’un site naturel exceptionnel. L’expérience est instructive car elle relance le débat sur la « valorisation » de la nature et sur son efficacité environnementale. Un groupe d’étude a d’ailleurs été, à cette fin, constitué à la Banque mondiale, portant le nom de projet « Waves ».
Sur le plan médiatique, le développement durable fait de plus en plus rarement les unes des journaux et les médias semblent avoir relégué les questions environnementales au second plan. Le « coup de gueule » de Hervé Kempf, éco-chroniqueur au journal Le Monde, n’est pas sans rapport. Ce dernier a décidé de quitter le journal le 2 septembre 2013 au motif qu’il serait de plus en plus fréquemment victime d’une censure de la rédaction, notamment à propos du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. Peut-être conscient de ce déclin, le journal Libération crée à partir de cette semaine une double page hebdomadaire intitulée : « sciences et environnement ».
Le développement durable est-il condamné à devenir un simple discours, sorti du panier des arguments sensibles, à la veille de chaque élection politique, pour aérer le débat politique, ou peut-on espérer un véritable nouveau souffle des politiques environnementales ? Quelques signes permettent encore d’espérer.
La Chine, un des plus gros pollueurs au monde, après de nombreux scandales écologiques, en a fait une priorité de ses prochaines politiques publiques. En France, un Conseil national de la transition énergétique créé par un décret publié le 18 août 2013, est chargé de donner son avis sur « l’environnement, l’énergie et les stratégies nationales relatives au développement de la responsabilité sociétale des entreprises ». Gageons qu’il ne s’agit pas d’un nouveau comité destiné à enterrer le problème ! En outre, concernant le projet d’aéroport Notre Dame des Landes, les autorités européennes ont été saisies et certaines irrégularités ont pu être observées, les conclusions définitives seront remises le 17 septembre 2013. Enfin, mardi 17 septembre Mme Taubira prendra connaissance du rapport établi sous la présidence de M. Jegouzo sur le préjudice écologique pur, qui devrait faire son entrée dans cet « écrin précieux » qu’est le Code civil. La Constitution politique de la France a connu sa Charte de l’environnement, peut-on espérer que la « Constitution civile de la France » (J. Carbonnier) intègre un jour un titre sur l’environnement ? À suivre…
Références
■ Article 6 du Traité de l’Union européenne
« 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.
Les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union telles que définies dans les traités.
Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions.
2. L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités.
3. Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. »
■ Article L. 110-1 du Code de l’environnement
« I. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.
II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :
1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;
2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ;
3° Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ;
4° Le principe selon lequel toute personne a le droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques ;
5° Le principe de participation en vertu duquel toute personne est informée des projets de décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement dans des conditions lui permettant de formuler ses observations, qui sont prises en considération par l'autorité compétente.
III. - L'objectif de développement durable, tel qu'indiqué au II, répond, de façon concomitante et cohérente, à cinq finalités :
1° La lutte contre le changement climatique ;
2° La préservation de la biodiversité, des milieux et des ressources ;
3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;
4° L'épanouissement de tous les êtres humains ;
5° Une dynamique de développement suivant des modes de production et de consommation responsables.
IV. - L'Agenda 21 est un projet territorial de développement durable. »
■ Charte de l’environnement de 2004
« Le peuple français,
Considérant :
Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;
Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;
Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;
Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;
Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, (…) ».
« Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi. »
Autres Billets
-
[ 16 décembre 2024 ]
L’intelligence artificielle, entre angoisses irrationnelles et tentatives d’encadrement
-
[ 9 décembre 2024 ]
Civilisation du récit, promesses et défis !
-
[ 2 décembre 2024 ]
Responsabilité financière des gestionnaires publics : tous justiciables…
-
[ 25 novembre 2024 ]
Hannoukka, l'Élysée et la laïcité
-
[ 18 novembre 2024 ]
Crise en Nouvelle-Calédonie : sur la légalité des détentions subies dans l’Hexagone
- >> Tous les Billets