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[ 4 janvier 2021 ] Imprimer

Poursuivre des études de droit

Il est de coutume d’adresser ses vœux pour la nouvelle année. Ces vœux s’adressent plus particulièrement aux nombreux étudiants, lecteurs réguliers de Dalloz Actu Étudiant, dont les questionnements peuvent être nombreux sur la poursuite de leurs études de droit. L’actualité de l’Union européenne peut nous apporter quelques réponses sur cet intérêt à porter au rôle des juristes.

Le droit est souvent appréhendé sous l’angle de la contrainte qu’il représente, obstacle à l’action publique ou à l’initiative privée. Les dernières semaines au sein de l’Union européenne appellent à nuancer cette perception face aux dossiers du Brexit et du plan de relance de l’économie. Ces deux dossiers mettent au contraire en évidence comment les juristes peuvent être à l’origine de solutions correspondant aux désidératas politiques des États et des institutions.

Le Brexit est sans doute un cas d’école avec la difficulté de devoir parvenir à la conclusion d’un accord contraignant, allant bien au-delà de la diffusion d’un communiqué diplomatique commun. L’article 50 TUE précise que les parties négocient un accord de retrait dans les délais deux ans, à compter de la notification du retrait. Cette période peut être prolongée si les parties le souhaitent. Cet accord ne peut entrer en vigueur pour l’Union qu’après approbation du Parlement européen et vote du Conseil à la majorité qualifiée. Le choix politique du gouvernement britannique a été de mettre une date butoir au 31 décembre 2020 pour conclure un accord, impliquant qu’un compromis soit trouvé bien en amont de cette date, pour éviter un « no deal ». En effet, au regard de l’importance économique entre autre de l’accord, il était nécessaire d’accorder un délai raisonnable d’examen au Parlement européen pour qu’il se prononce, le Conseil étant pour sa part largement informé des avancées. C’était d’ailleurs la volonté initiale avec une date de fin de négociations fixée au 15 octobre 2020. Celle-ci n’a pas été tenue, elle a remplacé par autre ultimatum à la mi-novembre, puis au 9 décembre. Une rencontre entre le Premier ministre britannique et la Présidente de la Commission a conduit à arrêter une autre date, celle du 13 décembre, tout aussi éphémère. Le Parlement européen a fini par exiger une décision pour le 20 décembre. Cette date n’a pas été davantage respectée, impliquant l’impossibilité de se prononcer sur l’éventuel accord dans le délai imparti. Cette négociation rocambolesque aurait pu s’arrêter là, mais finalement un accord a été conclu le 24 décembre. Face à la volonté toujours présente de négocier, les juristes sont entrés en piste.

Ces derniers ont formulé des solutions adaptées, face à des politiques, souhaitant parer les conséquences brutales d’un retrait sans accord. C’est ainsi que des mesures d’urgence ont été adoptées par le Parlement européen, sur proposition de la Commission, le 18 décembre 2020, pour maintenir, en cas de « no deal », le trafic aérien et le transport routier entre le Royaume-Uni et l'UE pendant six mois, allant clairement au-delà de la période de transition initiale pour garantir une liberté de circulation théoriquement devenue impossible, indépendamment de tout consentement britannique et de toute réciprocité. Les juristes ont également envisagé les moyens pour ratifier l’accord après son entrée en vigueur par le Parlement européen, pour ne pas avoir de rupture dans les relations avec les Britanniques. Chaque fois, les juristes ont fait l’effort d’élaborer des textes pour répondre au contexte et rendre la décision politique possible.

L’adoption du plan de relance a également été possible par l’intervention des juristes qui ont su concilier des intérêts contradictoires entre la Pologne et la Hongrie, d’une part, et l’Union européenne, d’autre part. Ils ont ainsi proposé de renvoyer l’application de la condition du respect de l’État de droit pour percevoir les fonds à un contrôle du juge communautaire préalable à la mise en œuvre du plan. Ainsi, les institutions ont-elles accepté de soumettre à une forme de contrôle de constitutionnalité les dispositions relatives au plan de relance, ce qui formellement ne correspond à aucune procédure du traité, même si ceci prend concrètement la forme classique d’un recours en annulation. Là encore, les choix politiques ont pu bénéficier de la capacité d’innovation des juristes et éviter le blocage institutionnel.

Au travers de ces deux exemples, le rôle des juristes prend alors tout son sens, celui d’écouter, de proposer, de formuler, de trouver des compromis juridiquement acceptables. Leur rôle ne peut être réduit à celui de s’opposer et de rappeler le cadre juridique. Ce travail s’appuie bien évidemment sur le respect d’un ordre juridique, garantissant notamment l’État de droit. En outre, les solutions proposées ne doivent pas être de simples artifices juridiques, mais bien des règles viables et applicables.

Toutefois, il faut, dans le même temps, être conscient que face à ces juristes, créateurs de droit, il existe d’autres juristes, tout aussi essentiel, chargés de défendre, d’appliquer et d’interpréter la règle lors de contentieux. La règle échappe toujours à son auteur. Il en découle que les effets envisagés ne sont pas toujours ceux constatées. Les juges, notamment ceux de la CJUE, ont le pouvoir de corriger et de rétablir, dans l’intérêt public, la cohérence des dispositions en lien avec les objectifs plus larges des traités européens. En conséquence, la règle de droit n’est pas prisonnière de ses auteurs, elle retrouve entre les mains d’autres juristes une forme d’émancipation.

Ce ne sont bien évidemment que quelques facettes du rôle des juristes, mais ce sont autant d’opportunités au service de la société qui s’offrent à la suite des études de droit. Je souhaite à chaque étudiant de devenir demain l’un de ces juristes qui créent, qui formulent, qui participent à l’élaboration de règles au service de décisions politiques ou qui interprètent ces mêmes règles pour la protection des justiciables.

Je vous transmets mes meilleurs vœux de réussite pour cette nouvelle année, et j’espère que vous saurez surmonter les conditions singulières dans lesquelles vous êtes amenés à étudier.

 

Auteur :Vincent Bouhier


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