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Le billet

[ 2 novembre 2011 ] Imprimer

Privée de voile à la crèche…

À l’heure où le sacre des printemps arabes semble révéler qu’il n’y pas dans les urnes d’incompatibilité entre Islam et démocratie, la mise en œuvre du principe de laïcité dans notre douce France semble toujours aussi délicate…

Après l’interdiction du voile islamique, euh pardon des signes religieux, dans les écoles de la République, celle du voile intégral, euh pardon, des tenues destinées à dissimuler son visage dans l’espace public, voici donc une nouvelle interdiction, judiciaire celle-là, à une salariée d’une association privée de porter le voile dans la crèche dans laquelle elle exerçait les fonctions de directrice adjointe.

En plein cœur d’une de ces cités dites difficiles dans lesquelles sont concentrées des populations émigrées et défavorisées, une crèche associative a été créée à la suite d’une initiative privée. Une des salariés, au nom de la liberté religieuse, exige de pouvoir porter le voile islamique au sein de la crèche, ce que sa direction lui refuse en invoquant le principe de laïcité et le règlement intérieur de cet établissement privé aux termes duquel il est interdit aux employés de porter des signes religieux au nom du principe de neutralité. La salariée s’entêtant dans son projet de travailler voilée, elle est licenciée pour faute grave. Licenciement qu’elle conteste devant le conseil des prud’hommes et que critique la HALDE saisie par ses soins, qui estime que ce licenciement est discriminatoire. En bref, la HALDE considérait que la crèche relevait du secteur privé dans lequel la liberté religieuse devait régner sans partage. Nul doute que le contexte local plaidait en faveur d’une liberté religieuse plus grande, dans la mesure où le port du voile dans la cité dans laquelle se trouvait la crèche n’était pas un phénomène isolé.

Le conseil des prud’hommes ne l’avait pas entendu de cette oreille et avait considéré que le licenciement était parfaitement justifié en raison de la violation du règlement intérieur et de l’insubordination caractérisée et répétée de la salariée « islamiquement » voilée. Puis, c’est la cour d’appel de Versailles qui, dans un arrêt rendu le 27 octobre dernier, a confirmé la décision du conseil en considérant que les restrictions à l’expression de la liberté religieuse dans le règlement intérieur de la crèche étaient justifiées par la nature de la tâche à accomplir par la salariée licenciée et que les enfants accueillis en son sein ne devaient pas, en raison de leur jeune âge, être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse.

Plusieurs leçons sont à retenir de cette décision. D’abord, elle affirme qu’une entreprise privée peut limiter la liberté religieuse sans pour autant se rendre coupable de discrimination. Ensuite, ces atteintes objectives à la liberté religieuse échappent au label infamant d’atteintes discriminatoires si elles sont fondées sur un motif légitime… Enfin, le champ d’application du principe de laïcité ne semble plus avoir de frontières, puisqu’après avoir investi l’espace et les services publics, il s’ingère dans la sphère associative et privée.

Deux minuscules réflexions ou deux bémols à apporter à ce que certains célèbrent comme une victoire du principe de laïcité. Quoique farouche opposant à tout signe religieux qui symbolise l’inégalité des sexes et l’asservissement de la femme, et fervent défenseur de la laïcité, je reste convaincu que les victoires du principe de laïcité sont à double tranchant quand elles dissimulent une hostilité latente à l’égard de la religion musulmane. J’aimerais être certain qu’une salariée portant une médaille de la vierge aurait subi les mêmes foudres que sa collègue. Par ailleurs, et en revanche, sur le plan des principes, il me semble parfaitement justifié que la portée du principe de laïcité ne varie pas en fonction de considérations d’ordre géographique : absolu dans les beaux quartiers et relatif dans les banlieues. Cette distinction suggérée par certains dans cette affaire avait les atours d’une véritable discrimination.

 

Auteur :Denis Mazeaud


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