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Procréation médicalisée : quelles limites est-il possible de maintenir ?
La dernière loi de bioéthique du 2 août 2021, répondant à une demande sociétale forte, a ouvert la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules.
Tandis que la PMA était conçue, depuis 1994, comme répondant à un objectif thérapeutique – en palliant à l’infertilité de couples hétérosexuels en âge de procréer ou en évitant le risque de transmission d’une grave maladie à l’enfant à naître, elle est devenue une solution à une « infertilité sociale », autrement dit le moyen de répondre à un désir d’enfant dans un contexte où une grossesse n’aurait, sur le plan biologique, « naturellement » pas pu advenir. S’inscrivant dans une volonté croissante de maîtriser le processus procréatif, cette réforme avait pour objectif de « dépasser les limites biologiques de la procréation aujourd’hui », comme l’avait expressément souligné le rapport Touraine ayant précédé son adoption. Révélant une diffusion « silencieuse » des idées transhumanistes dans nos sociétés occidentales (voir sur la question A. Cayol et E. Gaillard (dir.), Transhumanisme(s) et droit(s), Rapport de recherche n° 18-34, IERDJ, janv. 2022, https://hal.science/hal-03655860), l’ouverture de la PMA « à toutes les femmes » participe du glissement vers une médecine améliorative. Le changement complet de paradigme résultant de la réforme de 2021 et les conséquences susceptibles d’en résulter n’ont sans doute pas été alors pleinement mesurés. À ce jour, deux pratiques restent fermement prohibées en France : la PMA post mortem (CSP, art. L. 2141-2) et la gestation pour autrui (GPA), autrement dit la conclusion d’une convention de « mère porteuse » (C. Civ., art. 16-7). Or la question de la justification du maintien de ces interdictions se pose inévitablement, comme l’illustre la jurisprudence récente.
Concernant, d’abord, la PMA post mortem, le Conseil d’État a, certes, affirmé sa compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’Homme – sous réserve de circonstances particulières caractérisant une atteinte disproportionnée aux droits qu’elle garantit – (CE, 28 nov. 2024, n° 497323 et 498345), puis refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le sujet en considérant que la question de sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution – plus particulièrement au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale – ne présentait pas de caractère sérieux (CE, 25 févr. 2025, n° 499498). Toutefois, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a, à juste titre, souligné en 2023 (CEDH 14 sept. 2023, n° 22296/20 et 37138/20, Baret et Caballero contre France) que « l’ouverture, depuis 2021, par le législateur de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules pose de manière renouvelée la pertinence de la justification du maintien de l’interdiction dénoncée », les États étant tenus de mettre en place un cadre juridique cohérent. Comment justifier, en effet, qu’une veuve puisse désormais recourir à l’AMP avec tiers donneur mais ne puisse toujours pas avoir accès à une procédure d’AMP en utilisant les gamètes de son conjoint (insémination post-mortem) ou par un transfert d’embryon post-mortem ?
Concernant, ensuite, la GPA, si la jurisprudence de la Cour de cassation permettant la transcription intégrale de l’acte de naissance des enfants issus de tels contrats valablement conclus dans des États permissifs avait été « combattue » par la loi du 2 août 2021, les arrêts rendus fin 2024 révèlent qu’une nouvelle voie est désormais ouverte aux parents d’intention : l’exequatur du jugement étranger établissant la filiation de l’enfant (Civ. 1re, 2 oct. 2024, n° 23-50.001, 23-50.002, 23-50.017 et 23-50.020), et ce y compris quand le seul parent d’intention – en l’espèce, une femme – est dépourvue de tout lien biologique avec l’enfant (Civ. 1re, 14 nov. 2024, n° 23-50.016). Tandis que le pourvoi invoquait une contrariété du jugement à l’ordre public international français, la Cour de cassation insiste sur le fait que, « avec l’élargissement de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et l’établissement de la filiation de la femme qui n’a pas accouché par le biais d’une reconnaissance conjointe anticipée, la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a consacré l’existence en droit français d’une filiation reposant sur l’engagement personnel de deux femmes qui ont construit un projet parental commun, en dehors de toute vraisemblance biologique ».
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