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Projet de loi sur la régulation et la séparation des activités bancaires : quand les banques font la loi !
Qui oserait aujourd’hui enrayer le mouvement de démocratie participative qui traverse les sociétés occidentales ? Qui oserait remettre en cause une loi qui n’est plus seulement le résultat d’un processus top down, de haut en bas, mais s’enrichit d’un processus bottom up, de bas en haut ? Il faut pourtant rester sur ses gardes et veiller à ce que cette démocratie du dialogue et de la discussion ne devienne pas une dictature déguisée dans laquelle les lobbys auraient pris le pouvoir faisant ainsi place à une « démocratie expertale », dont les grands traits figuraient déjà dans les travaux de Max Weber (M. Weber, Le savant et le politique, Préf. R. Aron, trad.. J. Freund, 1959). Tel est malheureusement le chemin dangereux que semble avoir emprunté le législateur français comme l’illustre le projet de loi relatif à la régulation et à la séparation des activités bancaires adopté en Conseil des ministres le 19 décembre 2012.
▪ Les intentions – A priori, les intentions étaient bonnes. Il fallait réformer le secteur bancaire afin de tirer les leçons du passé et remédier aux effets de la crise financière et bancaire des subprimes, la chute de Lehman Brothers et l’effondrement des dettes souveraines en Europe. Aussi, lors de la campagne présidentielle, François Hollande avait-il promis d’assainir le système bancaire avec une mesure phare, loin d’être purement symbolique : séparer les activités de dépôt et les activités de spéculation. Selon l’ancien candidat devenu président, la loi « séparera les activités de dépôt, de crédit, que les Français connaissent, qui les rassurent, de celles liées à la spéculation, qui les inquiètent ». La France suivait ainsi le mouvement enclenché aux États-Unis avec la « Règle Volcker » en 2010, relayé en Angleterre avec « l’option Vickers » en septembre 2011 et suivi auprès des institutions européennes par les propositions du « groupe Liikanen » en octobre 2012 : tous préconisent, selon des modalités variables, une séparation des activités de dépôt et de spéculation.
▪ Les actes – À cette fin, en France, un rapport a été établi par Pierre Moscovici et un projet de loi a été adopté en Conseil des ministres le 19 décembre 2012 dont l’objectif est de « remédier à certaines carences du dispositif de régulation du secteur financier ». Or, le projet est beaucoup moins ambitieux que prévu. Frilosité et résignation diront certains ; modération et consensus diront les autres. Quel que soit le jugement porté sur ce projet, il est le fruit d’une politique des petits pas (en arrière) engagée par un gouvernement qui ne voit plus dans la séparation des activités bancaires le pilier de la réforme. Comment en est-on arrivé à remettre en question ce qui était présenté comme le noyau dur du renouveau ? S’il fallait résumer cette « réforme en marge », selon l’expression d’une lettre ouverte de Finance Watch à P. Moscovici, il suffirait de quelques mots : dorénavant, on fera comme d’habitude ! En effet, le projet de loi dans son titre premier (art. 1 et 2) propose de séparer les « activités bancaires utiles » des « activités bancaires spéculatives ». Or sont utiles les activités de « fourniture de services d’investissement à la clientèle » et la « tenue de marché sur instruments financiers ». Le mot « utile » laisse une importante marge de manœuvre aux banques. Cela n’est pas sans rappeler une histoire de Coluche qui évoquait ce chauffeur de bus en Afrique du Sud qui, excédé par le racisme et les bagarres entre noirs et blancs pour déterminer la place des passagers dans le bus, avait un jour déclaré que tous les passagers étaient bleus pour au final demander au bleu clair d’aller derrière et au bleu foncé de se mettre devant ! Morale de l’histoire : on peut changer la couleur mais les différences de teinte demeurent !
▪ Les influences – Une loi, dans un secteur aussi sensible et complexe que les activités bancaires, ne se prépare pas isolément, en interne, sans solliciter le regard éclairé et extérieur des experts (Sécurité juridique et complexité du droit, Rapport public annuel du Conseil d’État 2006, Études et documents n° 57, La Documentation française, 2006). Le législateur a donc consulté de nombreuses institutions privées, notamment bancaires. Il faut avouer que l’adage populaire selon lequel on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, prend ici un sens nouveau. Il est tout simplement ici question de lobbying, jeu d’influences auquel les banques sont assez habiles et pour lequel elles sortent souvent comme les grandes gagnantes.
Cette influence normative des groupes d’intérêts bancaires n’est pas un phénomène isolé et ira probablement en s’intensifiant. D’une manière générale, cette consultation est le signe d’une démocratie technique (M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe, Comment agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, éd. du Seuil, coll. « La couleur des idées », 2001) qui vient relayer, par nécessité, une démocratie classique mal à l’aise et souvent impuissante en raison de la complexité croissante des questions à traiter. En outre, la rationalisation de la loi oblige le législateur à rendre des comptes et à envisager en amont une évaluation des réformes en faisant appel à la « société civile », participation sacralisée par la constitutionnalisation des études d’impact par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 24 juillet 2008 et la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 (relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution). Ce mouvement s’est accéléré depuis la loi de finances de 2009 qui reprend les recommandations faites dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dont le but est de « moderniser l’État », en passant notamment par l’essor de l’expertise privée fournie par les consultants et les avocats d’affaires. La frontière entre sphère publique et sphère privée s’estompe et l’intérêt général s’impose comme le résultat d’une confrontation entre les intérêts particuliers. Inspirée du pluralisme politique qui caractérise le système américain, la France n’hésite plus à faire appel, de manière croissante depuis les années 1980, à des cabinets de conseil, souvent des cabinets d’avocats d’affaires, afin de les éclairer voire, de plus en plus fréquemment, de leur rédiger des réformes clef en mains (v. M. Goanec, « Quand les avocats d’affaires écrivent les lois », Le Monde diplomatique, janvier 2013, n° 706, p. 1 et p. 20). Tel semble avoir été le sort de la réforme du secteur bancaire dont les principaux intéressés, les banques, ont su s’emparer, renvoyant aux « calendes grecques », et la référence à la Grèce est ici plus que symbolique, la séparation réelle des activités.
▪ Les souhaits – Ne peut-on pas espérer et souhaiter, en cette période de vœux, la construction d’un lobbying responsable (http://www.lobbyingresponsable.org/) ? Si une place doit être accordée aux lobbys c’est, tout d’abord, à la condition d’en encadrer l’action. Instaurer une plus grande transparence est une voie qu’il faut emprunter mais elle n’est pas la seule. Il faut également garantir une égalité des armes en assurant une représentation égale de tous les intérêts, là où actuellement, du moins dans le domaine économique, les plus forts économiquement l’emportent (v. cep. la force des lobbys citoyens, G. Lecerf, « Note sur le lobbying citoyen en France (avec mise en perspective européenne) », in M. Mekki (dir.), La force et l’influence normatives des groupes d’intérêt. Identification, utilité et encadrement, Lextenso éditions, 2011, p. 89). À dire vrai, si « le changement c’est maintenant », cela ne viendra pas principalement de l’encadrement de l’influence des groupes d’intérêts et des cabinets de lobbys mais des décideurs publics. Ce sont eux qui ont le dernier mot et qui, quelles que soient les influences exercées, ont le pouvoir décisionnel. Ce sont les politiques qui ont le pouvoir, en fin de chaîne normative, de faire prévaloir une solution conforme à l’intérêt du plus grand nombre en conciliant les valeurs du marché et celles de la dignité, l’utile et le juste. Il faut avouer que l’épisode du projet de loi sur la régulation des activités bancaires confirme que le chemin à parcourir est encore long car, à l’heure actuelle, spécialement en matière bancaire, « les lois ne font plus les hommes, mais quelques hommes font la loi » (D. Balavoine, La vie ne m’apprend rien, Polygram, 1980).
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