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QPC et articles 671 et 672 du Code civil : quand l’arbre cache la forêt !
Le droit civil des biens repose essentiellement sur un Code napoléon dont la plupart des dispositions n’ont pas été modifiées depuis 1804. Sa réforme n’est pas d’actualité malgré l’existence d’un avant-projet de qualité, élaboré sous la direction de notre collègue Hugues Périnet-Marquet. Si le législateur ne franchit pas le Rubicon, cette évolution ne pourrait-elle pas venir de la bouche du juge constitutionnel ?
C’est sous un angle original, celui du contrôle de conformité des articles 671 et 672 du Code civil à la Charte de l’environnement, que le Conseil constitutionnel par une décision du 7 mai 2014 (Sté Casuca), à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité renvoyée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation par arrêt du 5 mars 2014 (n° 13-22.608), rend une décision qui, au premier abord, ne semble pas favorable à une « écologisation » du droit civil des biens, mais offre à l’analyse une porte d’entrée non négligeable à un futur « contrôle d’environnementalité » du droit civil. Décevante en plein, la solution pourrait être stimulante en creux.
▪ En plein – Un pourvoi en cassation formé par une SCI contestait la conformité des articles 671 et 672 du Code civil à diverses dispositions de la Charte de l’environnement intégrée à la Constitution par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Ces articles sont au fondement d’une servitude légale obligeant le voisin à planter ses arbres, arbustes et arbrisseaux à une certaine distance légale. À défaut, le propriétaire ou le titulaire d’un droit réel sur la parcelle contiguë peut demander la réduction ou l’arrachage de ces plantations sans avoir à justifier d’un préjudice spécial, lui conférant ainsi un droit discrétionnaire. Pour contester la conformité de ces dispositions, le demandeur au pourvoi avait invoqué non seulement le préambule de la Charte, composé de sept alinéas, mais aussi l’article 6 et les articles 1er à 4 de cette même Charte. Le pourvoi soutenait également que ces articles portaient atteinte aux articles 2 et 17 de la DDHC. Seul le fondement des articles 1er à 4 retiendra ici notre attention.
Une question prioritaire de constitutionnalité est donc renvoyée devant le Conseil constitutionnel qui ne déclare pas la demande mal fondée ou non fondée mais il déclare le grief inopérant. Le Conseil constitutionnel déclare, dans son 9e considérant, « qu’eu égard à l’objet et à la portée des dispositions contestées, l’arrachage de végétaux qu’elles prévoient est insusceptible d’avoir des conséquences sur l’environnement ; que, par la suite, le grief tiré de la méconnaissance de la Charte de l’environnement est inopérant ». Le Conseil constitutionnel axe son raisonnement sur l’absence de « conséquences sur l’environnement ». Il aurait alors été instructif de savoir ce qu’il entend par environnement, « notion caméléon » (M. Prieur) et comprendre ainsi le sens du mot « inopérant » : est-ce parce que l’atteinte à l’environnement suppose une atteinte à la santé, comme peut le laisser entendre l’article 1er évoquant « un environnement équilibré et respectueux de la santé » ? Peu probable, car l’autonomie entre environnement et santé est consacrée depuis longtemps.
Doit-on alors considérer que le Conseil constitutionnel adopte une conception macro-environnementale et écosystémique en ce sens qu’il faut que l’équilibre environnemental soit menacé ? Cette interprétation pourrait s’appuyer sur l’alinéa 1er du préambule qui traite des « ressources et (des) équilibres naturels », sur l’alinéa 5 qui renvoie à « la diversité biologique » et sur l’alinéa 7 qui évoque « la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Dans cette hypothèse, les articles 671 et 672, dans « leur objet » et dans « leur portée », ne règleraient que des questions de voisinage et la destruction de certains arbres ne peut, en elle-même, être analysée comme une atteinte à l’environnement.
Bilan quelque peu décevant alors car la plupart des dispositions du droit civil des biens relèvent de ces relations entre voisins ou entre titulaires de droits. À vrai dire, en creux, la solution invite à une réflexion plus large sur l’avenir environnemental du droit civil des biens, en particulier, et du droit civil, en général.
▪ En creux – En choisissant de qualifier le grief d’inopérant et non de mal fondé, la décision du Conseil constitutionnel ne constitue pas un frein au mouvement d’écologisation du droit civil. Tout d’abord, le Conseil constitutionnel, par contraste avec l’article 6 qui n’institue ni un droit ni une liberté, analyse les articles 1er à 4 distinctement. Ce faisant et par un raisonnement a contrario, le Conseil confirme que ces articles sont la source de véritables droits.
En particulier, l’article 1er consacrant un droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, que l’on rapproche du droit à vivre dans un environnement sain, pourrait à l’avenir servir de curseur au contrôle d’environnementalité du droit civil. Davantage droit-liberté que droit-créance, ce droit a profité d’une jurisprudence de la CEDH plutôt favorable au fondement de stipulations diverses (art. 2, art. 6 ou art. 8 Conv. EDH). Ce droit à un environnement sain a même justifié la mise en œuvre d’un référé-liberté conférant à ce droit la nature d’une véritable liberté fondamentale (TA Châlons-en-Champagne, 29 avril 2005, Conservatoire du patrimoine naturel et a.). Cette sacralisation limite ainsi le champ d’action du législateur et ce droit pourrait même dans le futur être invoqué entre particuliers comme l’avait laissé entendre le Conseil constitutionnel (Cons. const. 8 avr. 2011, Michel Z. et a.).
À l’avenir, cette dimension constitutionnelle du droit à un environnement sain pourrait simplifier les actions entre voisins pour troubles anormaux du voisinage, la seule atteinte à ce droit suffisant à justifier la cessation de l’illicite ou une indemnisation.
À l’avenir encore, ce droit pourrait justifier les actions en justice de tout individu ou de toute personne morale de droit privé en vue de protéger l’environnement analysé comme un « patrimoine commun ».
Ce droit constituerait alors un « droit subjectif d’intérêt général » ou un « droit public subjectif ». Veillons cependant à ne pas étendre à l’excès les virtualités de ce droit en voulant, par exemple, en faire le fondement d’un élargissement du principe de précaution de l’article 5 de la Charte de l’environnement.
Certains pourraient être tentés d’interdire toute activité, au nom du droit à un environnement sain, dès lors que l’absence de risque ne serait pas démontrée. Une telle « idéologie de la peur » (H. Jonas) serait dangereuse car elle transformerait le principe de précaution en simple règle d’abstention.
Ces quelques lignes ne suffisent pas à aborder toutes les virtualités de la décision mais elles confirment que l’important réside moins dans le rejet en l’espèce de toute inconstitutionnalité des articles 671 et 672 du Code civil que dans l’ouverture que suggère le Conseil constitutionnel sur l’avenir écologique du droit civil. La morale de l’histoire, issue d’un proverbe africain, s’impose d’elle-même : « L’arbre qui tombe fait beaucoup plus de bruit que la forêt qui pousse ! »
Références
■ Civ. 3e, 5 mars 2014, n° 13-22.608.
■ Cons. const. 7 mai 2014, Sté Casuca, n° 2014-394 QPC, JO 10 mai, p. 7873.
■ Cons. const. 8 avr. 2011, Michel Z. et a., n° 2011-116 QPC, AJDA 2011. 1158, note K. Foucher ; D. 2011. 1258, note V. Rebeyrol ; RDI 2011. 369, étude F. G. Trébulle.
■ TA Châlons-en-Champagne, réf., 29 avril 2005, Conservatoire du patrimoine naturel et a., req. n° 0500828, 0500829 et 0500930, JCP A 2005, n° 1216.
■ Code civil
« Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations.
Les arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur.
Si le mur n'est pas mitoyen, le propriétaire seul a le droit d'y appuyer les espaliers. »
« Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire.
Si les arbres meurent ou s'ils sont coupés ou arrachés, le voisin ne peut les remplacer qu'en observant les distances légales. »
■ Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »
« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
■ Charte de l'environnement de 2004
Considérant :
Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;
Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;
Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;
Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;
Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, »
« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »
Article 2
« Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. »
Article 3
« Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. »
Article 4
« Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi. »
« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
« Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
Article 6 - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
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