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[ 26 novembre 2018 ] Imprimer

Quand la communication de la CJUE interroge

La Cour de justice a donné une résonance particulière à une ordonnance du 19 octobre 2018 rendue dans un contentieux opposant la Commission à la Pologne au sujet d’une loi relative à l’abaissement de l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême (ord., 19 oct. 2018, Commission contre Pologne, C-619/18R). Cette ordonnance était rendue alors que la Pologne n’avait pas pu présenter ses observations ; le communiqué de presse intervenait le jour même alors que l’ordonnance ne fut accessible que le lundi suivant, soit trois jours plus tard.

Si la célérité de la Cour de justice de l’Union européenne peut être saluée, elle questionne sur l’utilisation des communiqués de presse.

Le choix est assumé depuis plusieurs années : les juridictions nationales et européennes usent des moyens de communication à l’image de toutes les autres administrations et entreprises afin de diffuser plus directement et plus rapidement le contenu de leur activité, renforçant par ce biais la connaissance du droit positif. La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) a eu recours aux communiqués de presse dès 1996. Cette volonté de communiquer n’a fait que s’amplifier, les communiqués étant finalement toujours plus nombreux au fur et à mesure des années. D’autres outils se sont également développés telle que la création d’une application mobile (curia). 

Cette communication a certainement des vertus pédagogiques, réelles, telles qu’une meilleure connaissance du droit. Elle participe également à la transparence, mettant en exergue les violations des États ou des entreprises au regard du droit applicable.

Cependant, il est possible de ne pas être convaincu par l’ensemble de la démarche de la CJUE, sans doute parce que celle-ci manque de clarté et que le choix des informations diffusées comme leur temporalité peut prêter à discussion.

Tout d’abord, une certaine opacité entoure les motivations à l’origine de la diffusion d’un communiqué de presse sur une décision plutôt qu’une autre. Les affaires faisant l’objet d’une médiatisation sont à la fois très différentes quant à la nature du contentieux, quant aux conséquences de la solution sur le droit, quant à la formation ayant rendu la décision et les personnes pouvant potentiellement être impactées par elle. Il est ainsi difficile d’identifier des lignes directrices avec le risque pour cette institution de mettre involontairement à l’index un État membre.

Ensuite, une interpellation vient du choix des documents médiatisés. S’il apparaît pertinent d’opérer une diffusion des arrêts rendus, la rédaction de communiqués de presse concernant les conclusions de l’Avocat général apparaît plus contestable. En effet, il faut rappeler que, conformément à l’article 252 TFUE, « les avocats généraux ont pour rôle de présenter publiquement et en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires soumises à la Cour de justice ». Si elles sont essentielles, les conclusions ne constituent en aucun cas une position de la Cour de justice. Elles ne permettent pas davantage d’anticiper la solution de la Cour de justice, pas plus que le raisonnement tenu, ni combien le dispositif serait convergent. En outre, au regard de la procédure, les parties n’ont pas la possibilité d’y répondre. Cette situation n’apparaît donc pas propice à une bonne administration de la justice, dès lors que le choix de médiatiser certaines conclusions pourrait être interprété comme une anticipation de la délibération des juges ou encore comme une pression. De plus le communiqué conduit nécessairement à un condensé du raisonnement qui ne reflète pas parfaitement ses subtilités, rendant plus complexe une solution différente des juges. 

Enfin la temporalité de la communication peut être problématique. Parce qu’il n’est pas certain que tous les destinataires du communiqué de presse prennent connaissance de la décision rendue, il n’est pas souhaitable que seul celui-ci soit disponible durant une période, même courte, empêchant les médias et les commentateurs de se forger une opinion à partir de la décision elle-même. Cette situation l’est d’autant plus lorsque l’ordonnance met gravement en cause un État par rapport à la protection des droits fondamentaux. 

Ainsi, il ne s’agit pas de s’opposer à une médiatisation utile du travail de la CJUE, mais au contraire d’inviter à une réflexion favorisant une bonne administration de la justice, évitant de porter atteinte à la sérénité de celle-ci, dès lors que la première étape, sans doute souhaitée, a été franchie, celle de faire connaître cette institution et son travail.

 

Auteur :Vincent Bouhier


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